Lot 94
École FRANÇAISE vers 1720,
suiveur de Pierre MIGNARD.
Portrait de Madame de Ventadour.
Toile.
147 x 115 cm.
Provenance : Dans la même famille depuis le début du XVIIIe siècle. Grande collection parisienne.
La duchesse de Ventadour obtint la charge très convoitée de Gouvernante des Enfants de France en 1704. En 1712, disparaissent le duc et la duchesse de Bourgogne et leur fils aîné. Il ne reste désormais pour toute famille et héritier à Louis XIV, que son arrière petit fils, le futur Louis XV, né le 15 février 1710. Le vieux roi disparaît à son tour en 1715. Désormais, le petit Louis XV n'a que celle qu'il nomme " Maman Ventadour ", et avec laquelle il sera lié par de profonds liens d'affection tout au long de sa vie.
Charlotte Éléonore Magdeleine de la Mothe Houdancourt, née en 1654, est la cadette des trois filles de Philippe de la Mothe Houdancourt, duc de Cardone, maréchal célèbre et pair du royaume. Elle est âgée d'une cinquantaine d'années lorsqu'elle succède à sa propre mère, Louise de Prie, marquise de Toucy, dans l'illustre fonction de " Gouvernante des Enfants royaux ". Elle a obtenu cette charge en partie grâce à l'amitié de Madame de Maintenon. D'après le duc de Saint-Simon c'est une jeunesse mouvementée, et une tardive dévotion qui rapprochent les deux femmes. La duchesse aura été une des personnes les plus populaires à la cour, où connaissant son mariage malheureux, on lui pardonne ses écarts de conduite. En effet, Charlotte de la Mothe Houdancourt a épousé, le 14 mars 1671, Louis Lévis, duc de Ventadour, gouverneur du Limousin, célèbre pour sa vie scandaleuse. Toujours d'après Saint Simon, le mari est aussi laid et dissipé que sa femme et belle et appréciée. La duchesse de Ventadour finit par le quitter après la naissance de leur unique fille, Anne de Lévis Ventadour, en 1673, et s'installe à Paris. Le duc mourra en 1717. Entre temps, on prête à la duchesse très mondaine, quelques liaisons dont le duc de Villeroy, qui lui succèdera en devenant gouverneur de Louis XV. C'est lui d'ailleurs qui l'a présentée à Madame de Maintenon. La duchesse de Ventadour avait été nommée dame d'honneur de la princesse palatine, mère du Régent, lors de son arrivée à la cour.
La duchesse de Ventadour se dévoue sans compter lorsqu'en 1712, à quelques semaines de distance, la maladie emporte le dauphin Louis de Bourgogne, la dauphine et leur aîné, le petit duc de Bretagne. Le petit duc d'Anjou, futur Louis XV, âgé de deux ans, est le dernier descendant direct de Louis XIV. Il devra la vie à sa gouvernante, qui, bravant l'autorité des médecins, le soustrait à leurs soins. Il lui en restera toujours reconnaissant. Consciente de ses ignorances dans le domaine éducatif, la duchesse de Ventadour restera en liens constants et secrets avec Madame de Maintenon, qui forte de son expérience de pédagogue, elle a fondé Saint Cyr, la soutient discrètement de ses conseils. Dans un premier temps, les deux femmes sont d'accord pour privilégier la santé du petit roi par rapport à son instruction. Leur avis va diverger ensuite. Madame de Maintenon juge préférable que la gouvernante et l'enfant roi ne s'attachent pas trop l'un à l'autre, ce qui s'avère vite irréalisable. Le petit roi lui voue une affection exclusive et l'appelle " Maman Ventadour " ou " chère Maman ". Cette affection est payée de retour et la duchesse lui donnera une enfance choyée. Madame de Ventadour est la seule famille que connaît l'enfant.
En 1717, selon la formule consacrée, le petit roi " passe aux hommes " et est remis entre les mains de François de Neufville, duc de Villeroy. En 1725, le roi Louis XV épouse Marie Leszczynska. Comme preuve de son attachement, le roi renommera Madame de Ventadour " Gouvernante des Enfants de France " pour ses propres enfants, et sa petite fille, la duchesse de Talard, est nommée survivancière, c'est à dire adjointe et destinée à lui succéder. La duchesse reprend donc son service en 1727 pour les premiers nés du roi. Les naissances royales se succèdent jusqu'en 1737. En 1738, dans un souci d'économie, les princesses de moins de six ans sont envoyées à Fontevraud. La duchesse meurt en 1744 au château de Glatigny.
Il existe peu de documents iconographiques concernant Madame de Ventadour. Sur notre portrait la gouvernante des Enfants de France est vêtue du manteau réservé aux ducs et pairs. Elle pose, ce qui peut paraître un peu surprenant d'après ce que l'on connaît de sa personnalité, près d'une cassette de bijoux. Il s'agit vraisemblablement de ceux qui ont pu lui être offerts par le petit roi Louis XV, alors qu'il est " passé aux hommes ". L'épisode est rapporté par le marquis de Dangeau (Journal, tome XVII, Paris 1854 - 1860, pp. 23 et 24). On sait que l'enfant est séparé de sa gouvernante le 15 février 1717, et qu'il en est bien triste, ce qui marque l'esprit des témoins. Dangeau mentionne : Le roi ne voulut point dîner et fut fort triste toute la journée. On a fait à Madame de Ventadour un présent magnifique de pierreries que le roi avoit eues de la succession de monseigneur le Dauphin, son grand - père, et on estime ce présent 60,000 écus. Cette anecdote permet de dater notre portrait vers 1717, année où Madame de Ventadour devint également veuve.
Nous connaissons également une version en buste exécutée d'après notre tableau, conservé au château de Bussy - Rabutin, et identifiée comme notre modèle.
Trois autres versions, toujours d'après notre portrait mais répertoriées comme étant Madame de Maintenon, nous sont connues : collection de Madame Le Goff, ancienne collection de M. Dru (vente à Paris, Hôtel Drouot, 17 - 18 décembre 1909, n° 37, reproduit, comme Pierre Mignard), et une reprise du XIXe siècle conservée au musée des Beaux Arts de Marseille.
Une quatrième version, présentée comme un portrait de l'impératrice Marie Thérèse, est conservée au château de Sychrov en Tchéquie, construit par la famille de Rohan, après la Révolution. Une réplique existerait également dans les collections des princes Metternich à Kynzvart.
Un autre portrait de Madame de Ventadour, réattribué à Nicolas de Largillierre il y a quelques années, nous est connu. La gouvernante s'est fait représenter en grand deuil de sa mère au côté de Louis XIV, et des " trois dauphins ", les ducs de Bourgogne et Bretagne, ainsi que son protégé le petit duc d'Anjou, futur Louis XV, tenu en lisière (conservé à la Wallace Collection de Londres)