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Une table mécanique par Jean-François Oeben

VUES OUVERTE ET FERMÉE À 360°





TABLE MÉCANIQUE DITE « À DEUX FINS »



à bâti de chêne et marqueterie de bois exotiques et indigènes polychrome. Le plateau de forme mouvementée est orné en son centre d’une corbeille fleurie reposant sur une console à coquille dans un entourage de treilles, rinceaux et arabesques ; aux quatre coins figurent une allégorie des quatre éléments : un aigle pour l’air, un cygne pour l’eau, une salamandre pour le feu et un lion pour la terre. La ceinture galbée est marquetée de fleurs en guirlande ; elle présente sur chaque petit côté un trou afin de régler le mécanisme grâce à une manivelle ; sur le côté droit, une entrée de serrure permet déclencher l’ouverture d’un tiroir. La ceinture ouvre automatiquement en façade par un tiroir central tripartite, foncé en son centre d’un panneau de laque or à fond noir, relevable grâce à un autre mécanisme actionné par un bouton secret, et pivotant pour présenter une écritoire foncé d’un cuir ; les couvercles des casiers latéraux sont marquetés de bouquets de fleurs ; les pans latéraux du tiroir sont marquetés d’un treillage renfermant des quadrilobes de fleurs. La table repose sur quatre pieds cambrés à coupe triangulaire, ornés de réserves en placage. Ornementation de bronzes dorés à têtes de bélier sur les chutes, reliées aux sabots en feuilles stylisées enroulées.

Estampillée deux fois J.F. OEBEN.
Jean François Oeben (1721-1763) ;« ébéniste privilégié du Roi » en 1754 puis « ébéniste mécanicien du Roi », aurait accédé à la Maîtrise en 1761.

Époque Louis XV, c. 1754-1757.

Dimensions fermée : Haut. 72,5 Larg. 95,5 Prof.47,5 cm.
Dimensions ouverte : Haut. 72,5 Larg. 121 Prof.82,5 cm.

(Restaurations d’usage, parfait état de marche des mécanismes fonctionnant avec une clé et une manivelle)

Provenance : grande collection française, descendance d'un capitaine d'industrie de la Sarre.

Exceptional "TABLE À DEUX FINS" by JEAN-FRANÇOIS OEBEN. Mechanical table in marquetry with the four elements on the top. Diversity of wood types and rich gilded bronze ornaments with ram head. Period: Louis XV. In perfect operational state. From the collection of a French captain of industry, Sarre. Assimilate to the group of tables preserved in the Louvre museum, in the Metropolitan musuem and from the former Lindengbug collection at Ahrensburg castle.

UNE TABLE MÉCANIQUE INÉDITE « À DEUX FINS » PAR JEAN-FRANÇOIS OEBEN


Jean-François Oeben (Heinsberg, 1721 – Paris, 1763) est l’un des ébénistes les plus créatifs et les plus éminents du XVIIIe siècle français. Étoile filante foudroyée par la maladie au sommet de sa gloire, à l’âge de 41ans, maître à l’apogée du style « Louis XV », Oeben renouvèle en une quinzaine d’années le goût du siècle des Lumières, créant les meubles les plus époustouflants qui n’aient jamais été imaginés. C’est lui qui donne à la France, et à son Roi, le fabuleux bureau cylindre toujours conservé à Versailles ;c’est lui encore qui créé ces merveilleuses « commodes à la grecque », posant une caisse droite sur des pieds galbés en inventant pou rla Marquise de Pompadour le style « Transition » ; c’est lui enfin qui découvre le goût néo-classique, imaginant l’architecture d’un temple antique pour le bureau cartonnier du duc de Choiseul.

Seuls un peu plus de deux cents meubles de cet ébéniste ont été identifiés par sa biographe, Rose –Marie Stratmann-Döhler, signés ou pas ; ils figurent dans les plus importantes collections mondiales. 37 tables mécaniques, toutes différentes les unes des autres, illustrent la perfection de son art. Inédite, notre table ne figure pas, quant à elle dans ce catalogue raisonné, bien qu’elle appartienne au groupe le plus prestigieux des tables « à deux fins ». Inventées lors du séjour d’Oeben au Gobelins, ou peut-être même dès son passage au Louvre, les tables mécaniques dites « à deux fins » sont plébiscitées par les dames de la société. C’est avec l’un des premiers modèles de ces tables que la Marquise de Pompadour pose pour le peintre François Guérin. L’analyse comparative de ces 37 tables permet de mieux apprécier le caractère exceptionnel de celle que nous présentons.

Une table à deux fins combine coiffeuse et table à écrire. Elle enferme élégamment les caissons dans un large tiroir central, en façade, actionné par un étonnant système mécanique. David Roentgen, un autre allemand lui succédera dans le titre honorifique « d’ébéniste-mécanicien du roi ». Le système de notre table est l’un des rares a pouvoir encore fonctionner en ce début du XXIe siècle. Une manivelle permet, de chaque côté de la table, d’ajuster les ressorts, que l’on actionne d’un simple quart de tour de clé. Le tiroir s’ouvre alors par trois volets. Un bouquet marqueté encadre à gauche et à droite un pupitre foncé sur notre table d’un panneau de laque, qui peut pivoter pour présenter une écritoire en cuir. Ce pupitre se relève par un autre mécanisme actionné par un bouton secret. Quatre autres tables, en particulier, présentent un tel pupitre de laque. Elles sont conservées au musée du Louvre (Figure 1) à Paris, au musée de la Résidence à Munich (Figure 2) et au musée Calouste Gulbenkian à Lisbonne (Figure 3).

Bouquets de fleurs marquetés et allégorie des quatre éléments.

Prodigieux marqueteur, Oeben utilise, sur un bâti de chêne, toutes les essences de bois exotiques connues tels que bois de rose, violette, satiné, amarante, cèdre, palissandre, sycomore, citronnier, padouk, acajou et ébène, mais également des bois indigènes tels que : frêne, érable, charme, buis, if, épinette, cormier, tilleul ou autre.

Les compositions des bouquets de fleurs qu’il affectionne sont très proches de celles de deux autres artistes logeant comme lui au Gobelins : Louis Tessier et Maurice Jacques. Il ne s’agit pas tant de représentation scientifique, que de modèles destinés aux arts décoratifs. Par ailleurs l’inventaire après décès d’Oeben contient de nombreuses gravures de fleurs et plusieurs tableaux du même sujet. Les fleurs représentées sur notre table sont celles à la mode dans les années 1750 : tulipes, roses simples ou pleines et en bouton, œillet, pied d’alouette, narcisses, giroflées, pivoines, aster, marguerite à feuilles claires ou à feuilles sombres, pavots, hyacinthes, liserons ou lys.

La ceinture de notre table est marquetée toutes faces de bouquets de fleurs, et présente dans sur les côtés du tiroir ouvert un treillage renfermant des quadrilobes de fleurs, comme sur la table de la marquise de Pompadour conservée au Metropolitan Museum à New-York (Figure 4).

Le plateau de notre meuble appartient au groupe très fermé de trois autres tables mécaniques datant de 1754-1755. Il présente une corbeille fleurie dans un entourage de guirlandes suspendues à une arcade en treillage et reposant sur une coquille flanquées de petites treillages. Aux angles, quatre animaux, juchés sur des volutes, représentent les quatre éléments : un aigle pour l’air, un cygne pour l’eau, une salamandre pour le feu et un lion pour la terre. La première de ces tables est conservée au musée du Louvre à Paris (Figure 5), la deuxième à la Getty Foundation à Los Angeles (Figure 6) et la dernière provenant probablement de l’ancienne collection du château d’Ahrensburg (Figure 7) a été vendue à Paris en 2003. L’apparition de cette quatrième table sur le marché est donc un enrichissement inattendu pour la connaissance du mobilier d’Oeben.

Bronzes à têtes de béliers pour les Princes de Deux-Ponts.

Les tables à deux fins présentent le plus souvent une moulure de bronze simple, qui a la double fonction de protéger la marqueterie et de venir en complément du décor. Souvent elle repose, comme la nôtre, sur des sabots en forme de feuilles à volute, caractéristique de l’ébéniste. Les meubles les plus exceptionnels présentent, quant à eux et de manière assez répétitive, des têtes de chinois. Notre table est la seule, avec celle conservée au musée de la Résidence à Munich (Figure 8), à présenter des têtes de bélier dans les chutes d’angle. Ces têtes de béliers sont présentes sur d’autres meubles, comme l’athénienne avec laquelle pose la marquise de Pompadour sur le tableau par François Hubert Drouais ou une table à en-cas de la Wallace Collection à Londres (Figure 9). Si l’on retrouve ce modèle de bronzes dans l’inventaire après décès de l’ébéniste, il semble qu’ils aient été créés pour Christian IV,duc de Deux-Ponts ou son frère le Prince héréditaire, amis intimes de la Pompadour comme de Louis XV et qui résidaient plusieurs mois par an à Paris. Le mobilier qu’ils ont acheté à Jean-François Oeben dans les années 1754-1757 et qui a échappé à la destruction de leur palais de Jägersburg, par les troupes révolutionnaires française en 1793 présente en effet de tels bronzes, sur une table à deux fins et sur un secrétaire en armoire.

Pour ses bronzes, Oeben fait travailler les meilleurs artisans parisiens. Il s’agit notamment du fondeur Jean-Claude Chambellan Duplessis et des ciseleurs Louis-Barthélémy Hervieux et Étienne Forestier. La qualité d’un bronze permet en effet de tripler la valeur d’une table à deux fins. Ainsi, dans l’inventaire après-décès de l’atelier d’Oeben, qui dura du 27 janvier au 16 mai 1763, trois tables mécaniques seulement sont listées. La première est comptée « pour mémoire » car appartenant à la Marquise de Pompadour ; la deuxième avec« une petite moulure au pourtour et petits filets en bronze doré » est comptée pour 250 livres ; la dernière avec « quatre chutes de bronze ciselé à testes de bellier doré d’or moulu », comparables à notre table, est comptée pour 700 livres, soit l’un des prix les plus importants de l’inventaire. Cette table vient en effet après une grande commode (1.500livres) et une boite pendule à palmiers régulateur (1.000 livres) mais loin devant les table à la Bourgogne (260 livres), bureaux cartonniers (600 livres),bureau plat (140 livres), secrétaire en armoire (140 livres), commodes à lagrecque (150 livres) ou autre table de toilette à cœur (72 livres)…

Exceptionnelle par sa qualité d’exécution, par la rareté de ses bronzes (musée de la Résidence), de sa marqueterie (Metropolitan),de sa laque (Gulbenkian) et de son plateau aux quatre éléments (Louvre et Getty), notre table s’apparente à celles commandées par les plus célèbres clients de Jean-François Oeben, à commencer par la marquise de Pompadour et parles princes de Deux-Ponts. Inédite sur le marché de l’art, elle est l’une des rarissimes tables « à deux fins » dont la mécanique fonctionne encore à merveille, 260 ans après sa création au milieu du XVIIIe siècle.

BIBLIOGRAPHIE

« Le XVIIIe siècle aux sources du design : Chefs-d’oeuvre du mobilier 1650-1790 », Cat. expo.musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, 28 octobre 2014 - 22 février 2015, Versailles, 2014.
« Le mobilier du musée du Louvre, tome I, Ebénisterie », Paris, 1993.
Archives Nationales, « Inventaire après décès de la veuve de Christian IV », 2 mars 1808, Paris, MC/RE/LIX/6.
André Boutemy, « Les tables coiffeuses de Jean-François Oeben », Bulletin de la société de l’art français, décembre, 1962.
Philippe Cachau « Le château de Christian IV duc des deux-ponts à Jägersburg, un château français en Allemagne (1752-1756) », revue Francia, n° 39, 2012, pp. 135-165.
Jules Guiffrey, « Inventaire de Jean-François Oeben (1763) », NAAF, 3e série, vol. XV, 1899, pp. 298-367.
Pierre Kjellberg, « Le Mobilier français du XVIIIe siècle », Paris 1989.
Brigitte Langer, « Die Möbel der Residenz München. Die Französischen Möbel des 18. Jahrhunderst », Münich-New York, 1995. -
Hans Ottomeyer, « Les achats d’oeuvres d’art des ducs de Deux-Ponts à Paris », Le commerce du luxe à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles Échanges nationaux et internationaux,
Peter Lang. 2009 - Bertrand Rondot, « De la rocaille au goût grec », Madame de Pompadour et les arts, Cat. expo.musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, 24 février – 15 mai 2002, RMN, Paris, 2002
Rose-Marie Stratmann-Döhler, « Jean-François Oeben », in Les Cahiers du Mobilier, Paris, 2002.

Liste des figures


1 : Table Mécanique. J.F Oeben, vers 1755. Musée du Louvre, n° inv. OA10404.
2 : Table à deux fins J.F Oeben, Résidence de Munich.
3 : Table à deux fins.J.F. Oeben, vers 1760. Musée Calouste Gulbenkian, Lisbonne.
4 : Table mécanique ayant appartenu à la marquise de Pompadour. J.F. Oeben. The Metropolitan Museum, New York. (détail de la chute)
5 : Table Mécanique.J.F Oeben, vers 1755. Musée du Louvre, n° inv. OA10404. (vue d'au-dessus)
6 :Table à deux fins. J.F. Oeben. The J. Paul Getty Museum, Los Angeles. (vue d'au-dessus)
7 : Table mécanique àcoulisse. J.F. Oeben, vers 1750-1755. Vente Sotheby's Paris, 15 décembre 2003,n°109. (vue d'au-dessus)
8 : Table à deux fins J.F Oeben, Résidence de Munich. (détail de la tête de bélier)
9 : Table à en-cas. Atelierde J.F. Oeben, vers 1760-1763. The Wallace Collection, Londres.
10 : Table à deux fins.J.F.Oeben. The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
11 : Table à deux fins J.F.Oeben, vers 1760. Musée Calouste Gulbenkian, Lisbonne
12 : Table Mécanique J.F Oeben,vers 1755 Musée du Louvre, N° inv. OA10404
13 : Table mécanique ayant appartenu à la marquise de Pompadour. J.F. Oeben. The Metropolitan Museum, New York
14 : Table à deux fins J.F Oeben, Résidence de Munich
15 : Table mécanique à coulisse. J.F. Oeben, vers 1750-1755. Vente Sotheby's Paris, 15 décembre 2003,n°109.

Allemand de naissance et de formation, Jean-François Oeben arrive à Paris vers 1742-1745. Il est rapidement privilégié par l’Administration royale, qui le loge dans les galeries du Louvre, puis à la Manufacture des Gobelins et enfin au pavillon de l’Arsenal, récemment construit. La haute noblesse et la famille royale lui passent des commandes fastueuses et figurent, à son décès, parmi la longue liste de ses débiteurs. Les ducs de Choiseul, d’Aumont, de Soubise, de Richelieu, le roi Louis XV, la Dauphine et naturellement la Marquise de Pompadour sont ses clients attitrés. À la tête d’un atelier parmi les plus considérables de son époque, une vingtaine de personnes, Jean-François Oeben travaille également avec son frère Simon Oeben comme avec ses beaux-frères : Roger Van der Cruz La Croix ou Martin Carlin. Son élève Jean-Henri Riesener épousera sa veuve à son décès, finissant le bureau du Roi, reprenant son atelier et poussant à la perfection le style néo-classique « Louis XVI » imaginé par son maître et mentor.

Mécanique en état de marche d’une « tables à deux fins. »
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