École française de la première moitié du XIXe siècle.
L’Atelier de Clésinger, circa 1849.
Huile sur toile.
Haut. 50, Larg. 61 cm.
L’Atelier de Clésinger, circa 1849.
Huile sur toile.
Haut. 50, Larg. 61 cm.
Depuis l’étude publiée par Hélène Toussaint dans le catalogue de la rétrospective consacrée à Gustave Courbet en1977, les historiens considèrent que la gravure d’Henri Valentin (Allarmont,1820-Strasbourg, 1855), Intérieur d’un atelier d’artiste au XIXe siècle, qui illustrait un article du Magasin pittoresque de novembre 1849, servit très vraisemblablement de source à Courbet pour sa grande toile L’Atelier du peintre (1855, Musée d’Orsay). Une aquarelle de la même époque offrant quelques variantes mineures,fut présentée dans le cadre de deux expositions consacrées à Gérard de Nerval (Maison de Balzac, 1981 et Bibliothèque historique de la ville de Paris, 1996). Son titre, L’Atelier de Clésinger (28x 42 cm, ancienne collection Claude Guérin), permet de qualifier la scène plus précisément.
Gravure d’Henri Valentin, Le Magasin pittoresque, novembre 1849
Notre tableau représente pratiquement à l’identique la gravure de Valentin. Son cadrage, légèrement plus large que celui de la gravure, pourrait suggérer qu’il fut exécuté avant celle-ci. Célèbre pour ses illustrations de presse, Henri Valentin réalisa peu de toiles. On ne peut toutefois exclure que cette dernière soit un travail préparatoire de sa main.
La scène dépeint l’atmosphère amicale et bohème qui régnait dans l’atelier du sculpteur Jean-Baptiste Auguste Clésinger (Besançon, 1814-Paris, 1883), artiste qui occupait en 1849 une place de premier plan dans la sculpture parisienne, après l’immense succès de deux marbres qui firent scandale, La Femme piquée par un serpent (Salon de 1847, musée d’Orsay) et La Bacchante couchée (Salon de 1848,Petit-Palais). Le sculpteur figure au centre du tableau.
Les personnages représentés ontpu, pour la plupart, être identifiés (voir la notice de Frédérique Thomas-Maurin dans le catalogue de l’exposition Courbet Clésinger, œuvres croisées, Musée Courbet, 2011). Au premier plan à gauche, Alexandre Dumas père joue de la guitare à côté du poète Pierre Dupont, ami de Baudelaire, Nerval et Courbet. Derrière eux, l’écrivain et photographe Maxime Du Camp fait face au peintre Ferdinand Boissard de Boisdenier, l’animateur du « Club des hashischins ». A leur droite, Apollonie Sabatier - la Présidente qui posa pour La Femme piquée par un serpent et dont Baudelaire fut amoureux -regarde un peintre travailler. Celui-ci passe pour être Camille Roqueplan, mais aucun document ne permet d’établir de lien entre cet artiste au physique assez éloigné du modèle et Clésinger. Les noms de Gustave Ricard (1823-1873) ou de Charles Jalabert (1819-1901), dont l’atelier commun, rue Duperré, faisait face à celui du sculpteur et qui étaient amis et voisins d’Apollonie Sabatier qui posa pour eux, seraient plus vraisemblables. Au centre de la composition, le romancier Alphonse Karr est assis à côté de Gérard de Nerval ; ce dernier fume rêveusement une pipe ottomane. Parmi les deux escrimeurs, on distingue Casimir d’Arpentigny, ancien officier, auteur d’ouvrages de chirologie, proche de Musset et de George Sand (dont Clésinger était le gendre). Arpentigny, qui le présenta à cette dernière, lui écrivit, en 1846 : « L’atelier de Clésinger est toujours plein de jeunes gens, on y rit, on y chante, on y peint, on y fume. Tout à coup, une voix plane sur le vacarme, on sait ce que cela veut dire, tous font silence, etla voix lit les Sept cordes de la lyre,ou un chapitre de Valentine ». Derrière eux, de gauche à droite, se trouvent Champfleury, théoricien du Réalisme, le violoniste Alphonse Promayet,le poète Max Buchon, peut-être Camille Corot portant une casquette et le peintre Paul Chenavard assis à une table, la main sur un livre.
La réunion dans l’atelier de Clésinger de toutes ces personnalités au même moment relève moins de la réalité que de l’allégorie ; cependant, tous, représentatifs du monde de l’art des années 1845-1855, avaient un lien avec Clésinger, Nerval ou Apollonie Sabatier. Henri Valentin, dont l’atelier se situait à proximité de celui de Clésinger et en était un habitué, pouvait, à l’époque, les y croiser.
Identification des personnages représentés :
Jean-Baptiste Auguste Clésinger (1814-1883)
Clésinger, photographie vers 1855
Clésinger, photographie vers 1855
Alexandre Dumas (1802-1870)
Alexandre Dumas, photographie Nadar, vers 1865
Alexandre Dumas, photographie Nadar, vers 1865
Pierre Dupont (1821-1870)
Pierre Dupont, photographie Carjat, vers 1855
Pierre Dupont, photographie Carjat, vers 1855
Maxime Du Camp (1822-1894)
Maxime Du Camp, photographie Nadar, vers 1850
Maxime Du Camp, photographie Nadar, vers 1850
Ferdinand Boissard de Boisdenier (1813-1866)
Boissard par Louis-Auguste Schwiter, vers 1832
Boissard par Louis-Auguste Schwiter, vers 1832
Apollonie Sabatier (1822-1890)
Appolonie Sabatier par Gustave Ricard, 1850
Appolonie Sabatier par Gustave Ricard, 1850
Gustave Ricard ? (1823-1873)
Gustave Ricard, autoportrait, vers 1853
Gustave Ricard, autoportrait, vers 1853
Alphonse Karr (1808-1890)
Alphonse Karr, caricature de Benjamin, 1840
Alphonse Karr, caricature de Benjamin, 1840
Gérard de Nerval (1808-1855)
Gérard de Nerval, photographie Nadar, 1854
Gérard de Nerval, photographie Nadar, 1854
Jules-François Husson, dit Champfleury (1821-1889)
Champfleury, portrait par Gustave Courbet, vers 1854
Champfleury, portrait par Gustave Courbet, vers 1854
Alphonse Promayet (1822-1872)
Alphonse Promayet, portrait par Gustave Courbet, 1847
Alphonse Promayet, portrait par Gustave Courbet, 1847
Max Buchon (1819-1869)
Max Buchon, portrait, vers 1855
Max Buchon, portrait, vers 1855
Camille Corot (1796-1875) ?
Camille Corot, autoportrait, 1835
Camille Corot, autoportrait, 1835
Paul Chenavard (1807-1895)
Paul Chenavard, portrait, vers 1855
Paul Chenavard, portrait, vers 1855
Similitudes
Une comparaison en L'Atelier du peintre de Courbet et notre tableau permet de relever de nombreuses similitudes. La présence de dix détails communs dépasse le simple hasard : arme blanche, chapeau, crâne, médaillon de plâtre accroché au mur représentant un profil féminin, guitare, table aux pieds tournés, chat, homme devant un miroir, homme tenant un livre et femme regardant le peintre à son chevalet se retrouvent dans les deux oeuvres. On note aussi une composition en triptyque assez similaire, deux groupes de personnages étant répartis à droite et à gauche du peintre dans L'Atelier de Courbet et du sculpteur dans L'Atelier de Clésinger.
Similitudes dans la composition de L'Atelier de Clésinger et de L'Atelier du peintre de Courbet
Parmi les personnages, il est intéressant de remarquer que plusieurs d'entre eux figurent également dans L'Atelier du peintre tels qu'ils furent identifiés par Hélène Toussaint : trois intimes de Gustave Courbet, Champfleury, Alphonse Promayet, Max Buchon, auxquels il faut ajouter Mme Sabatier. Plus tard, Courbet réalisa séparément un portrait de Pierre Dupont (1868) et de Paul Chenavard (1869).
Personnages repris dans L'Atelier du peintre de Gustave Courbet
Si le peintre de notre tableau ne saurait se confondre avec Courbet (la toile au sujet allégorique ou mythologique qu'il exécute ne correspond en rien aux thème favoris du maître d'Ornans), deux détails renvoient cependant à lui de manière troublante. La position assise qu'adopte l'artiste et le curieux bonnet qui couvre sa tête se retrouvent dans un autoportrait dessiné à la pierre noire (Artiste à son chevalet, 1847-1848, The Fogg Museum, Etats-Unis); par ailleurs, on voit au premier plan une reproduction de L'Ecorché de Michel-Ange, sculpture que Courbet appréciait particulièrement puisqu'il l'inclut dans deux toiles importantes des années 1840, Les Joueurs de dames (1844, collection privée, Caracas) et L'Homme à la ceinture de cuir (1845-1846, Musée d'Orsay).
Similitudes avec d'autres oeuvres de Courbet
Peintre à son chevalet portant un bonnet
Gustave Courbet, Artiste dans son atelier, 1847-48
Gustave Courbet, Artiste dans son atelier, 1847-48
L'Ecorché de Michel-Ange
Gustave Courbet, Les Joueurs de dames, 1844 (détail)
Gustave Courbet, Les Joueurs de dames, 1844 (détail)
Cette toile inédite, découverte l'an dernier, fut présentée par l'historien de l'Art et spécialiste de Courbet, Thierry Savatier, lors d'une conférence au Musée Gustave Courbet le 17 octobre 2015.