29ème VENTE GARDEN PARTY - I
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Lot 57
École CHAMPENOISE, premier tiers du XVIe
et restitutions du XIXe.
Vierge à l'Enfant.
Sculpture d'applique en pierre calcaire, avec traces de polychromie et de dorure.
Haut. 154 cm.
dont base de 12 cm.
(restaurations anciennes, éléments restitués, fissures en partie inférieure de la robe et de la base, petits accidents).
Provenance : Collection de Reiset, abbaye du Breuil-Benoît ; par descendance, propriété de Touraine.
Une étude technique réalisée en mars 2017 par Madame Juliette Lévy, restauratrice, et sur la base comparative du rapport de restauration de la Vierge au raisin de Saint-Urbain de Troyes aimablement fourni par Madame Florence Godinot est disponible sur demande.
A stone group of VIRGIN and CHILD from the progeny of the Reiset estate at the Breuil Benoit Abbey. Champagne school, early 16th century.
LA VIERGE dite "AUX RAISINS" DU BREUIL-BENOÎT
Debout sur un croissant de lune, la Vierge couronnée porte l'Enfant Jésus bénissant de sa main droite tout en tenant un cep de vigne dans la main gauche. Sa mère lui tient délicatement le pied gauche de sa main droite, sur laquelle est posé un oiseau. Dotée de ces caractéristiques si spécifiques - allongement significatif des jambes, visage ovale régulier au haut front bombé et yeux en amande encadré d'une chevelure longue et dénattée tombant en longues mèches torsadées sur les épaules, le petit Jésus remuant, vêtu d'une longue tunique et coiffé de mèches bouclées - cette charmante composition appartient au répertoire traditionnel champenois du premier tiers du XVIème siècle. Dès les époques antérieures, comme en témoignent les groupes de Villeloup (XIVème siècle) ou de saint André des Vergers (fin du XIVème siècle), les représentations mariales portant les attributs du raisin et d'un oiseau ont été fréquentes. Cette référence dogmatique à la célébration de l'Eucharistie est cependant ici accompagnée d'un thème beaucoup plus rare pour l'époque et la région, celui de l'Immaculée Conception, par la présence du Croissant de lune. Inspirée du livre de l'Apocalypse (ch. 12, v. 1), cette iconographie si originale reprend celle de l'un des joyaux de la sculpture champenoise du XVIème siècle : La Vierge dite "aux raisins" de l'église Saint-Urbain de Troyes.
Après étude comparative des deux uvres, il apparaît évident que la sculpture de la collection de Reiset dérive de cette dernière. Elles partagent la composition générale, l'expression de grâce soulignée par le petit sourire énigmatique de la Vierge, la complexité des drapés et des plis des vêtements richement ornés. Certains détails de la sculpture - non pas ceux des éléments restitués lors de campagnes de restaurations postérieures, comme la colombe qui ne grappille pas ici la grappe de raisin - permettent d'attester de la créativité de l'artiste. Cette inventivité se manifeste dans le traitement des orfrois qui ornent les bordures des vêtements, comme il est également possible de l'observer sur les habits de la Vierge à l'Enfant de l'église de L'Isle-Aumont ou encore sur ceux de sainte Agnès de Saint-Nicolas-de-Troyes. Les vêtements de la Vierge de Saint-Urbain comportent trois décors différents, comme l'a découvert la restauratrice Florence Godinot (1) : le surcot présente des bordures décorées de volutes, entrelacs et motifs floraux sur une frise, traités en bas-relief, tandis que le manteau offre à voir deux motifs différents à dextre et senestre. Chaque côté comporte un motif unique répété (volutes et entrelacs) sur une frise, prouvant que l'artiste a changé de sujet en cours de réalisation. Les vêtements de la Vierge du Breuil-Benoît présentent quant à eux trois décors d'orfrois très soigneusement exécutés. Le premier, situé sur la bordure du manteau, atteste de l'influence italianisante qui s'installe progressivement en Champagne à cette période : il est composé d'une alternance de calices et de têtes de putto aux joues gonflées, desquels sourdent des tiges feuillues d'acanthes. La bordure du surcot comprend un autre motif unique et répété de volutes et entrelacs. Un dernier motif, situé sous un pli de la bordure gauche du manteau, présente une tige sur laquelle se croisent deux lignes en diagonale pour former un motif en croix. À cette grande richesse du détail s'associait un grand soin dans la polychromie originale. À l'instar de son prototype, la Vierge du Breuil-Benoît a malheureusement subi des restaurations, surpeints et décapages successifs. Cependant les rares traces de polychromie encore présentes permettent, d'une part, d'établir la grande qualité de sa polychromie originale et d'autre part de la rapprocher de celle de la Vierge aux raisins de Troyes : toutes deux présentent des traces de dorure sur mixtion ocre dans les chevelures de la Vierge et du Christ et sur la partie extérieure du manteau (2).
Comme le rappelle Véronique Boucherat, l'expression du style champenois se fonde sur une unité qui s'est manifestée par la pratique courante au début du XVIème siècle de la copie. Ainsi, sept dérivations de la Vierge à l'Enfant de Saint-Urbain de Troyes sont aujourd'hui attestées (3) : celles de la chapelle de Saint-Aventin (à Verrières), de Périgny-la-Rose, Pougy, d'Avon-la-Pèze, de Romilly-sur-Seine, de Chavanges et de Saint-Just en Seine-et-Marne. En étudiant ces autres versions, l'on constate que les restaurations postérieures de la Vierge aux raisins de Saint-Urbain et du Breuil-Benoît n'ont pas restitué un élément important à la compréhension de la scène : le Christ n'esquisse pas seulement un geste de bénédiction de la main droite. Il tient un long ruban qui passe entre les deux mèches tombant sur l'épaule dextre de la Vierge et est noué à la patte de l'oiseau posé sur la main de la Vierge. L'oiseau ainsi captif renvoie à l'image du Diable qui cherche à attirer les pécheurs dans ses rets. Le geste de bénédiction ne s'adresse plus seulement au fidèle, mais à l'oiseau prisonnier du Mal, rappelant ainsi la libération future issue de son sang versé (4).
Entrée dans la collection du Comte qui lui fit réaliser un socle de pierre portant l'inscription suivante : " BEACTE VIRGINI/ AQUARUM BORVONIS/MEMOR/SANITATIS FILII SUI/ ACCEPTAE/ COMES DE REISET/ANNO DOMINI 1891 ", l'uvre trouva une place privilégiée dans la travée de chur de l'église du Breuil-Benoît (base Image, ministère de la Culture et de la Communication, clichés n° cliché n° MH0033625 ).Fruit d'un travail de sculpture de grande qualité dont la beauté était à l'origine soulignée par un riche décor polychrome, cette Vierge à l'Enfant dérivant de la magnifique Vierge aux raisins de Saint-Urbain de Troyes, témoigne de l'excellence de l'école champenoise du premier tiers du XVIème siècle.
Littérature en rapport :
- Raymond Koechlin et J de Vasselot, La sculpture à Troyes et dans la champagne méridionale au seizième siècle, Paris, 1900, p.138 et suiv.
- Lucien Morel-Payen, Troyes et l'Aube, Troyes, 1929.
- Le Beau XVIème siècle. Chefs-d'uvre de la sculpture en champagne, catalogue de l'exposition tenue à Troyes, église Saint-Jean-au-Marché, 18 avril -25 octobre 2009, Hazan, 2009.
(1) Madame Florence Godinot, restauratrice d'uvres sculptées est vivement remercié pour les informations fournies (Nancy 2005) concernant la restauration de la Vierge aux raisins de Saint-Urbain de Troyes et qui ont permis l'étude comparative des deux uvres.
(2) Une étude technique a été réalisée par la restauratrice d'uvres sculptées, Juliette Levy. Le rapport daté de mars 2017 sera remis à l'acquéreur.
(3) Véronique Boucherat, "La sculpture en Champagne méridionale vers 1500-1530 : des styles et un esprit ?", in Le Beau XVIème siècle. Chefs-d'uvre de la sculpture en Champagne, pp.117-122, pp.120-121.
(4) Véronique Boucherat, "Les traductions de la dévotion mariale", pp.66-67, in Le Beau XVIème siècle. Chefs-d'uvre de la sculpture en Champagne, 65-74, p.66-67.
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Adjugé : 25 000 €
Lot 57