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Karl Fabergé, orfèvre des Tsars, Tsar des orfèvres

Dimanche 15 avril 2018

Pendulette et étuis à cigarettes


Numéros 90 à 101

Karl Fabergé, orfèvre des Tsars, Tsar des orfèvres

Descendant d’une famille de huguenots quittant la France suite à la révocation de l’édit de Nantes, Karl Fabergé naît à Saint-Pétersbourg en 1846. Son père y avait fondé un petit atelier de joaillerie quatre ans auparavant. En vue de lui succéder, Karl Fabergé réalise son apprentissage dans trois centres majeurs de l’orfèvrerie occidentale : Paris, Florence et Francfort. Passionné pour les XVIIe et XVIIIe siècles français, il y subit diverses influences ; sa connaissance des matériaux et des techniques ne peut être plus aboutie. De retour dans la capitale impériale, il met gracieusement son savoir-faire au profit du musée de l’Ermitage, où il restaure des objets dès ses vingt ans. C’est une occasion inestimable de parfaire sa connaissance, non seulement des arts décoratifs de la Russie millénaire, mais aussi des procédés de fabrication antiques. Lorsqu’en 1870, à 24 ans, il reprend la joaillerie de son père, il est « armé » pour faire de grandes choses.

Il diversifie la production. Aux bijoux, il ajoute les pierres dures sculptées, les pièces d’argenterie et bien sûr les objets émaillés. Notre étui à cigarettes émaillé blanc sur fond guilloché (n°95) est l’un des meilleurs exemples de cette catégorie d’objets. En Russie comme à l’étranger, Fabergé sélectionne rigoureusement les meilleurs orfèvres et artisans pour les réaliser, et les regroupe en divers ateliers selon leur spécialité. Fabergé laisse d’ailleurs ses collaborateurs signer leurs réalisations à côté de sa propre signature.

Le meilleur d’entre eux est promu chef d’atelier : il est le véritable bras droit de Karl Fabergé. C’est ainsi que notre pendulette (n°90) porte le nom de Mikhail Perkhin, chef d’atelier de 1886 à 1903. C’est lui qui participe à la création du premier œuf impérial en 1885. De la même façon, l’étui émaillé blanc (n°95) porte la marque de Henrik Wigström qui dirige les ateliers Fabergé de 1903 à 1917. Ce système de supervision artistique et technique permet à Karl Fabergé de développer son entreprise tout en poussant la qualité et l’inventivité à un niveau toujours supérieur. À titre d’exemple, il achète l’atelier de pierres dures de Karl Wöerffel afin de s’assurer lui-même de la beauté des pierres semi-précieuses de l’Oural qu’il utilise le plus souvent. C’est probablement ce qui explique la couleur et la pureté de la néphrite dans laquelle est sculpté notre étui à cigarettes (n°91) provenant de l’écrin du grand-duc Vladimir Alexandrovitch et de son épouse Maria Pavlovna. Il ouvre en 1887 une succursale à Moscou spécialisée en argenterie. C’est à cet endroit qu’est née notre importante urne couverte en vermeil (n°96) à la ciselure impressionnante de finesse.

Lorsqu’il ne peut les employer ou les racheter, Fabergé s’entoure des meilleurs artisans de son temps en véritable dénicheur de talents. En témoigne notre pendulette (n°90) qui recèle un mouvement exceptionnel à deux barillets que l’on doit à la maison suisse Henri Moser & Cie. Ou encore ces petits animaux (n°99 et 101) sur lesquels deux poinçons cohabitent : ils ont été finement ciselés par l’orfèvre Julius Rappoport pour la Maison Fabergé.

Ses ateliers comptent une vingtaine d’employés avant 1882. Ils ne seront pas moins de 500 en 1910 ! Cette explosion de main d’œuvre n’est absolument pas liée à l’industrialisation des techniques de fabrication, bien au contraire. Fabergé mettra toujours un point d’honneur à fabriquer des objets au goût du jour avec des techniques ancestrales. La mécanisation est quasiment absente de ses procédés. Ainsi, lorsque la demande augmente, la main d’œuvre croît.

Le talent artistique et le génie entrepreneurial ne peuvent à eux seuls expliquer la légende Fabergé. Le génie commercial est essentiel : et qui mieux que deux princesses pour fonder une légende ? Deux sœurs sont véritablement à l’origine de la renommée internationale de cette maison. Deux sœurs qui, par leur goût, décèlent immédiatement le talent de cet homme. Il s’agit des princesses Dagmar et Alexandra du Danemark. La cadette deviendra la tsarine Maria Feodorovna, épouse du tsar Alexandre III et son ainée la reine Alexandra, épouse du roi Edouard VII d’Angleterre. Fabergé n’aurait pu rêver meilleures ambassadrices. Elles portent ses créations dans l’ensemble des cours européennes. Anniversaires, commémorations, Noëls, Pâques et visites diplomatiques étaient autant de prétextes pour offrir ou se voir offrir des créations de l’orfèvre pétersbourgeois. À la fin du règne de Nicolas II, les créations de Fabergé réunies par la famille impériale se comptent en milliers. De même, la collection Fabergé de la Couronne d’Angleterre est aujourd’hui l’une des plus riches au monde.

Son prestige ne cesse de croître. En 1882, il obtient la médaille d’or à l’exposition panrusse de Moscou. Il y est remarqué par le tsar Alexandre III, qui le fait fournisseur de la Cour de Russie en 1884, titre qu’il garde sous Nicolas II. En 1900, il obtient le grand prix de l’Exposition universelle de Paris. Il ouvre de nouveaux magasins : Odessa (Crimée) en 1900, Londres en 1903 et Kiev en 1905. En 1908, il rend visite au roi Chulalongkom de Siam qui est époustouflé par son travail. Il est ainsi significatif d’observer un poinçon d’importation londonien daté de 1906 sur notre étui à cigarettes provenant de l’écrin de la baronne Cécile de Rothschild (n°95). Un autre élément trahit une production pour l’Occident : le nom Fabergé y est apposé en toutes lettres… latines ! En vermeil, or et émail guilloché, agrémenté d’émail champlevé, de cabochons de rubis et de perles, il fait figure de synthèse du raffinement Fabergé, si prisé à l’international.

Fabergé connaît son apogée entre 1885 et 1917. Son succès ne passe évidemment pas inaperçu chez ses confrères, et nombreux sont ceux qui, non sans talent, lui emboîtent le pas. En témoigne notre étui à cigarettes en émail bleu (n°92) par Avenir Soumine offert en 1912 par la Grande Duchesse Anastasia. Soumine pousse le mimétisme jusqu’à protéger sa création dans un écrin de bouleau en tous points semblable à ceux de son illustre concurrent. Ce cadeau, même modeste, témoigne de la fierté de la Cour de Russie pour cet art qu’elle n’hésite pas à positionner au sein de sa politique diplomatique. Notre autre étui à cigarettes émaillé jaune (n°97) et appliqué de l’aigle impériale trouve également son inspiration dans le travail de Fabergé, et en particulier dans l’œuf impérial au carrosse du couronnement. Dans une autre matière, la porcelaine, la Manufacture impériale de Saint-Pétersbourg reprend cette tradition d’œufs impériaux, tel l’œuf au monogramme de la tsarine Maria Feodorovna (n°94).

En 1917, Karl Fabergé est ruiné par la Révolution bolchévique. Ses ateliers sont confisqués et ses créations dispersées. Il meurt en Suisse trois années plus tard. Les grands de l’Empire en exil porteront ses « bijoux » aux quatre coins du monde. L’exécution sommaire des membres de la famille impériale renforcera la légende des objets Fabergé, et en particulier de ses œufs, en tachant de sang l’émail guilloché transparent. Ainsi est née une véritable fascination pour ces témoins des deux derniers Tsars. Fascination qui n’a jamais quitté les collectionneurs, en témoigne cet ensemble que nous présentons aujourd’hui aux enchères.

Karl Benz
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