Grande ARMOIRE ARCHITECTURÉE, dite du MARIAGE de LOUIS XV.
en chêne massif mouluré et sculpté ouvrant à deux portes encadrées par deux colonnes torses baroques, surmontées de chapiteaux corinthiens. Large corniche à chapeau de gendarme. Le linteau supérieur de forme arrondie reçoit, de part et d'autre, les armes couronnées du Royaume de France et celles du roi de Pologne Stanislas Leszczynski. La façade des portes est richement compartimentée, avec des feuilles d'acanthe en écoinçons dans la partie basse. Elle repose sur six pieds, en forme de boules aplaties en partie antérieure. Intérieur composé de panneaux à glaces.
Marquée en bleu sous le plancher : "n°13".
Alsace, Wissembourg, c. 1725.
Haut. 263, Larg. 208, Prof. 80 cm. (restaurations d'usage, manque la serrure à trois points de la porte gauche).
Provenance : commande honorant le roi de Pologne, Stanislas Leszczynski, à l'occasion du mariage de sa fille avec le roi de France Louis XV, 1725.
Lorsqu'en septembre 1725, le roi de France, Louis XV âgé de tout juste quinze ans, épouse la fille du roi déchu de Pologne, Stanislas Leszczynski, la stupeur s'abat sur toute l'Europe. L'arrière-petit-fils du Roi Soleil ne commet-il pas une mésalliance en choisissant Marie Leszczynska, son aînée de sept ans ? La rente de 1.000 livres par semaine, que le régent Philippe d'Orléans verse à son père, ne lui permettrait même pas d'entretenir la douzaine de gentilshommes qui l'ont accompagné dans son exil alsacien. S'il prête à controverse, ce choix s'avère, in fine, judicieux : le coeur du roi est comblé par cette reine, qui donne 10 enfants en 10 ans à la France.
Les premières années de la reine en France sont mal connues. Réfugié en Alsace à partir de 1718, le roi Stanislas, son père, est accueilli sur les terres de Léopold Ier le Bon, Duc de Lorraine et de Bar, dans la ville de Wissembourg. Il occupe le Palais Jaeger, du nom du Chevalier de l'ordre Teutonique qui l'a mis à sa disposition. L'édifice à trois ailes, ouvert sur une cour d'honneur, est achevé en 1722. Son portail monumental est digne d'un arc de triomphe. Le roi et sa famille y vivent alors "bourgeoisement", dans un décor qui fait la part belle au bois naturel sculpté. Lorsqu'il quitte Wissembourg à l'été 1725, " Stanislas Roy " écrit à son hôte son contentement et le témoignage de sa reconnaissance pour l'accueil qui lui a été réservé, malgré le peu de distraction qui lui étaient offertes.
Habitué des cours fastueuses, Stanislas fait contre mauvaise fortune bon coeur, et prend plaisir à recevoir en cadeaux des oeuvres d'art, en particulier celles offertes par le Duc de Lorraine. Il n'est donc pas inconcevable que ce meuble ait été offert par ce prince, au père de la nouvelle reine. À moins que ce ne soit un présent du préteur royal de Wissembourg, ou d'un autre notable ?
En chêne mouluré et sculpté de la forêt d'Haguenau, cette armoire est haute et très large. De style et de facture typiquement alsacien, deux colonnes torsadées, non porteuses, élancent sa silhouette. La ferronnerie fleurie ferme chaque porte par trois points. Elle indique le caractère précieux des objets qu'elle pouvait protéger. La corniche monumentale accueille les écus réunis des rois de France et des rois de Pologne, dans la tradition des alliances matrimoniales. Elles achèvent de donner à ce
meuble de grande qualité une importance historique digne des plus beaux meubles alsacien. Le maître ébéniste Nicolas Cammus, connu aussi sous le nom de " Gammus " ou " Camus ", étant actif à Wissembourg au milieu du XVIIIe siècle, il est probable que cette armoire soit de son oeuvre. Camus est en effet référencé pour la fabrication d'autels religieux, d'armoires et de bureaux.
Nulle trace de cette armoire n'a été retrouvée dans les archives du Bas-Rhin, ni de son numéro d'inventaire " 13 " marqué sous le plancher. Soit parce que Stanislas l'avait emporté avec lui comme souvenir de cette Alsace " si agréable ", soit parce que cette armoire n'a été ni confisquée ni vendue à la Révolution. La famille Herzog qui était propriétaire du Palais Jaeger à cette époque ne le cèdent en effet à la ville qu'en 1864. L'apparition de ce très beau meuble régional alsacien est donc renforcée par le mystère de sa double provenance royale.
Nous remercions Chantal Humbert (" Les arts décoratifs en Lorraine : de la fin du XVIIe siècle à l'ère industrielle ", L'Amateur, 1996), Anthony Videgrain, étudiant à l'Université de Tours, et Anne Fellinger, aux archives du Bas-Rhin pour leurs recherches et précisions.