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Rouillac | Stainte Famille, plumes, Mexique XVIIeme

TABLEAU DE MOSAÏQUE EN PLUMES
Figurant la Sainte-Trinité et la Sainte Famille.


Sur une plaque de cuivre obtenue par martelage est déposée une feuille de papier amate sur laquelle est fixée une feuille de coton supportant la mosaïque de plumes.

•Plumes multicolores provenant du tzanal (étourneau), du martin-pêcheur, de l'aztatl (aigrette blanche), et des différents perroquets des forêts tropicales du Chiapas au Mexique et au Guatemala (le cochohuitl et l'ara macao).
•Les plumes sont fixées par une colle d'origine animale.
•Les éléments dorés sont constitués par du papier doré.
XVIIe siècle, Mexique.

Haut. 33, Larg. 26 cm.
(Dégradations visibles des plumes liées à l'usage, sans restaurations particulières).

Provenance :
•Collection des Flandres.
•Par descendance, collection particulière, Tours.
L'identification des plumes a été permise grâce à Monsieur Jacques Cuisin, spécialiste des oiseaux au Museum d'Histoire Naturelle de Paris.

Muni de son certificat de sortie du territoire français

Bibliographie :
•Adrien AVALREZ-VANHARD, Anne DEHAIS et Claire MOURA, "Un tableau de plumes inédit découvert dans le Val de Loire", Université de Tours, Tours, 2013.
•Bertrand DUBOSC, "Rapport préliminaire d'analyse scientifique", M.S.M.A.P., Bordeaux, 2013.
•Télécharger toute la Bibliographie

« C'est au XVIIe siècle que l'art plumassier mexicain connaît son apogée, probablement favorisé par le succès que ces œuvres connaissaient en Europe. La fragilité de ces pièces fait qu'un grand nombre a disparu aujourd'hui et que dans le monde 27 œuvres sont recensées.La France en possède une de cette période qui se trouve au château-musée de Saumur : Notre Dame à l'enfant (triptyque). »

UNE MOSAÏQUE DE PLUMES DÉCOUVERTE EN VAL DE LOIRE
par trois étudiants de l'Université de Tours sous la direction d'Aymeric Rouillac


Découverte contre le mur anonyme d'un hôtel particulier tourangeau, cette mosaïque de plumes mexicaine, image de la Sainte-Trinité et de la Sainte Famille "en marche" est un exemple de l'iconographie de la Contre-Réforme catholique, née du Concile de Trente. Sa technique particulière, une mosaïque de plumes, appartient à une série rarissime, d'une quarantaine d'œuvres conservées de nos jours dans le monde. Produites au Mexique au cours des XVIe et XVIIe siècles par des artisans aztèques, les "amantacas", elles étaient commandées par les frères franciscains pour servir leur discours évangélisateur. L'usage des plumes et une iconographie subtilement nimbée de traditions précolombiennes confèrent tant aux yeux des conquistadors qu’à ceux des indigènes une valeur sacrée à cette œuvre. Ce tableau inédit est peut être l'objet de plumes le plus métis connu de nos jours, illustrant la richesse et la complexité des relations entre l'Europe et l'Amérique.

L'art plumaire "magique" des Aztèques au service de l'évangélisation de la Nouvelle-Espagne

L’art de l’assemblage des plumes est, dès l’origine, un art précolombien. Il était déjà considéré comme l’un des arts les plus raffinés avant l’installation des Aztèques sur le plateau central du Mexique. C’est sans doute grâce au nombre et à la diversité des oiseaux que l’utilisation artistique de la plume a connu son plus fort développement dans cette région.

Attributs guerriers chez les Aztèques, Codex de Mendocino.

Les plumes avaient autant de prix aux yeux des précolombiens que les pierres précieuses. Elles servaient de monnaie d’échange, ou encore de tribut, afin d’entretenir la famille royale. Des valeurs magiques leurs étaient attribuées, notamment la capacité d’influer sur la fertilité et la santé. En outre, elles symbolisaient le pouvoir, l’abondance et la noblesse. C'est pourquoi les artisans spécialisés dans cette pratique, les « amantecas », possédaient un statut privilégié.

Après l’éradication des cultes païens, les missionnaires espagnols ont dû pallier à la carence de matériel et d’artistes pour répandre et inculquer le catholicisme à l'aide d'images. Très impressionnés par le savoir-faire de ces « amantecas »,ils ont décidé de le mettre à profit. Les indigènes ont donc conçu des mitres,des devant-d’autels et surtout des tableaux, appelés mosaïques de plumes. Si le format et l’iconographie étaient européens, tirés de recueil de gravures, le matériau et l’artisanat restaient indigènes.

Les mosaïques de plumes ont aussi été envoyées en Espagne, où elles ont suscité l’admiration des plus grands, comme Isabelle la Catholique. L’effet de surprise que l’on ressent aujourd’hui encore devant ce matériau est attesté par les plus anciennes sources. En 1585 par exemple, le pape Sixte V reçoit en cadeau de la Nouvelle-Espagne un tableau représentant Saint-François. Il se montre sceptique devant sa nature et se lève de son trône pour toucher l’objet afin de se convaincre. Plusieurs de ces mosaïques de plumes ont été dispersées à travers l'Europe par le biais de cadeaux, tels ceux faits par le roi d’Espagne Charles-Quint à plusieurs membres de sa famille Habsbourg. Le jésuite Matéo Ricci, envoyé à la cour de l’empereur chinois Wan Li, lui offre également une carte du monde en mosaïque de plumes. L'art des « amantecas » connaît une diffusion que l’on peut qualifier d’universelle.

Ces mosaïques de plumes, très prisées, ont été exposées dans les cabinets de curiosité en Europe. Elles sont ainsi de nos jours disséminées tant dans divers musées et collections européenne que conservées dans des lieux de cultes au Mexique. Le XVIIIe puis le XIXe siècle se désintéressent de ces sujets religieux, fragiles et délicats. Manquant de grands commanditaires, l’habileté des « amantecas »périclite. À cette époque, les visages et les mains sont d'ailleurs généralement peints à l’huile.

Les manteaux des protagonistes sont ici bordés d’un liseré d’or. Cet ornement disparait petit à petit dans les mosaïques de plumes au cours du XVIIe siècle. La réalisation de cette œuvre se situe donc entre le XVIe et avant la fin du XVIIe siècle. Par ailleurs, la similitude avec les 41 mosaïques de ces deux siècles que nous avons pu recenser dans le monde confirme cette datation.

Chasse aux canards, Codex de Florence, XVIe siècle, Bibliothèque Laurentienne.
Chasse de l'Atotolin, Codex de Florence, XVIe siècle, Bibliothèque Laurentienne.
Préparation des pigments, Codex de Florence, XVIe siècle, Bibliothèque Laurentienne.
Coloration des plumes dans un atelier d'Amantecas, Codex de Florence, XVIe siècle, Bibliothèque Laurentienne.

Une Sainte Famille "en marche", atypique au Mexique, et engagée contre la Réforme protestante.

Le thème de la Sainte Famille est une scène rarement représentée dans les tableaux de plumes qui nous sont parvenus aujourd'hui, au contraire de l’Assomption de la Vierge par exemple. La dévotion dédiée à la Sainte Famille est nouvelle au XVIe siècle et n’existait pas au Moyen-âge. Ici, c’est la Sainte Famille « en marche » qui est représentée, associée avec l'image de la Sainte Trinité, selon une iconographie qui prend corps après le Concile de Trente (1545-1563). Le prédicateur protestant Calvin s’étant moqué de la Trinité, comparant la colombe à un vulgaire pigeon, son image est renforcée et popularisée par l'Église Catholique.

Jésus, Dieu le Fils, est âgé de cinq-six ans, tenant la main de ses parents de part et d’autre Saint-Joseph tient dans sa main droite le bâton fleuri, attribut qui le désigne comme l’époux de la Vierge Marie. Il est représenté comme un homme jeune, comme cela a souvent été le cas depuis que Sainte-Thérèse d’Avila a propagé sa dévotion au XVIe siècle. Il porte une tunique verte et un manteau jaune symbolisant respectivement la vie et l’humilité. La Vierge se tenant à la gauche de Jésus porte un manteau dont les couleurs bleu et rouge sont caractéristiques des images du Vieux Continent. Le style, comme le thème, rappelle dans l’ensemble l’art européen maniériste ou baroque.

Ce thème se conjugue ici avec celui de la Trinité, conforme également à l’iconographie de la Contre-Réforme. La colombe de l'Esprit -Saint, puis Dieu le Père sont représentés au-dessus de Jésus, le Fils. Les nuages indiquent la provenance divine de l’Esprit Saint, représenté par la colombe. Ils séparent le tableau en deux parties : la Terre et la partie céleste. Ces deux thèmes associés mettent en valeur le fait que, sur Terre, Joseph et Marie sont le reflet de la Trinité céleste.

L’archevêché de Puebla conserve une Sainte Famille de composition similaire, datée du XVIe siècle. Un modèle commun peut être envisagé, bien que le travail de celle de Puebla soit plus précieux, plus "baroque", plus détaillé et que l'image soit inversée. L’imprimeur Christophe Plantin, architypographe du roi d’Espagne, détient le monopole lucratif de la vente de certains ouvrages liturgiques en Espagne et dans les colonies espagnoles. Il est probable que le modèle original soit tiré d’un de ses ouvrages.

La présence discrète, mais réelle, des traditions précolombiennes fait de cette œuvre l'objet de plumes le plus métisse du Nouveau Monde

Certains détails de ce tableau de plumes peuvent néanmoins être mis en lien avec l’art aztèque. Les artisans "amantecas" ayant toujours été indigènes, on comprend mieux la persistance de l’art indigène dans les images sacrées chrétiennes.

Jésus et Joseph sont représentés pieds nus, tout comme pouvaient l'être les divinités aztèques. La conquête ne marque ni la fin des traditions artistiques ni celle des traditions religieuses précolombiennes. Une certaine marge de manœuvre et une certaine indépendance sont allouées aux indigènes, quand elles ne sont pas encouragées par les Franciscains, dans le but de faciliter l'assimilation de la culture chrétienne. Ces traditions se mélangent stylistiquement et iconographiquement avec les apports chrétiens, pour mieux servir l'idéologie conquérante. Ces facteurs expliquent la survivance d'éléments et de symboles indigènes dans la production artistique de l'époque coloniale, notamment en matière religieuse.

Le peu de perspective dans l’œuvre est caractéristique de l’ambivalence entre l’art indigène et l’art européen. La tradition aztèque de représentation de l’espace se rapprochait de notre art médiéval : les compositions avaient plutôt tendance à être verticales et sans perspective. L’église à gauche qui paraît frontale en témoigne. Ce lieu de culte est bien entendu le symbole de la victoire des Espagnols, pièce essentielle de l'urbanisme des conquistadors. L’intense processus d’urbanisation qui eût lieu jusqu’au XVIIe siècle faisait en effet de l’église l’un des seuls, si non le seul, bâtiment d’importance des villes de la Nouvelle-Espagne.

Le ciel de notre tableau était probablement du même bleu turquoise que celui de La Messe de Saint Grégoire, conservé au Musée des Jacobins d’Auch, ou encore du Saint-Jean-Baptiste qui se trouve dans l’archevêché de Puebla. En effet, en s’abîmant, cette couleur laisse voir des sortes d’écailles marron que l’on retrouve entre les volcans et les nuages dans notre représentation. Cette couleur est assez fréquemment utilisée dans les tableaux de plumes. Le bleu turquoise possédait une aura divine pour les indigènes et les plumes de cette couleur avaient autant de valeur aux yeux des indigènes que des pierres précieuses, telles les perles de jade représentées sur le cadre.

Le cadre de plumes décoratif de cette image paraît très simple, mais s'inspire de la joaillerie précolombienne. Il répond aux goûts indigènes, comme le montrent les colliers de perles de jade portés par les représentations des divinités aztèques. Ce cadre apparaît de manière partielle sur d'autres mosaïques, comme sur le bord inférieur de la mosaïque de Santa Maria de la Asunción. Datée du XVIe siècle, les perles sont similaires, au moins par la forme, si ce n’est par la couleur. Notre tableau est le seul à posséder un cadre au dessin intégralement précolombien. Le jade est une métaphore des gouttes d’eau qui tombent sur la terre et la fertilisent. Le vert et le bleu étaient deux couleurs que les aztèques associaient et qui symbolisaient le luxe et la préciosité.

Sculpture anthropomorphe de déesse, 1350-1521, Quai Branly, Paris.
Jade, Museo de Antropología de Xalapa, Mexico.
Statuette en terre cuite, civilisation Maya, Yucatan.


Le volcan représenté à l’arrière-plan, à la droite de Marie est semblable à ceux que l’on trouve dans les tableaux du Saint-François et de la Sainte Rita de Casia conservés tous deux à Mexico. En effet, la partie supérieure du volcan, le feu, est rouge, tout comme sur ces deux mosaïques. Certains artistes indigènes évoquent ainsi leurs divinités de manière discrète. En Méso-Amérique le volcan est en effet associé aux croyances du feu et de l’eau, deux éléments contradictoires chez nous, mais qui ont fusionné dans l'Amérique Précolombienne en un panthéon commun.

Adrien AVALREZ-VANHARD, Anne DEHAIS et Claire MOURA,
Étudiants du Master Histoire de l’Art à Université de Tours.


Bibliographie sélective
• Teresa CASTELLOYTURBIDE, El arte plumaria en Mexico, Fomento cultural Banamex, Mexique, 1993.
• Gauvin-Alexander BAILEY, Art of colonial Latin America, Phaidon,New-York, 2005.
• Louis MÂLE, L'Art religieux de la fin du XVIe siècle, du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle étude sur l'iconographie après le Concile de Trente, Italie-France-Espagne-Flandres, (2e édition) A. Colin,Paris, 1951.
• Soleils Mexicains, 29 avril -13 août 2000, Paris, éd. INAH, catalogue d’exposition, Paris, Petit Palais, 29 avril - 13 août 2000
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