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Une armoire classique du Val de Loire

Samedi 27 janvier 2024 à 07h

Cette semaine, Jacques soumet à notre expertise une armoire de famille héritée de ses grands-parents originaires de Mayenne. L’occasion pour Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, de nous en dire plus sur l’histoire et l’évolution de ce meuble régional.



Fidèle, solide, rassurante, cette armoire parle pour toutes les autres, celles qui nous entourent, nous suivent de génération en génération, mais dont la taille peut nous entraîner fatalement à nous en séparer. Le meuble le plus ancien conservé est l’armoire du XIIème siècle à l’abbaye d’Aubazine en Corrèze.

C’est au XVIème siècle que l’armoire gagne l’intérieur domestique, remplaçant les coffres et offrant un espace de rangement clos par deux battants. A la Renaissance elle est concurrencée par le buffet qui ouvre sur quatre portes. Au milieu du XVIIIème, la progression de l’outillage et la nouvelle prospérité des campagnes favorisent l’essor du meuble régional poussé par les commandes rurales et bourgeoises. Grâce au système de compagnonnage, les jeunes artisans sillonnent la France avant de passer maître et diffusent les gabarits et les techniques, permettant ainsi au meuble de s’affiner et se complexifier. Les artisans de province, à la différence des maîtres parisiens du Faubourg Saint-Antoine qui produisent pour une clientèle de cour, ne sont pas réunis en corporations et sont libres de répondre à des commandes privées. Dans ce contexte de diffusion des savoirs propre au siècle des Lumières, des gravures circulent et contribuent à propager les styles Louis XV et Louis XVI en montrant le meilleur de la création des ébénistes et menuisiers parisiens. En effet, sous l’ancien régime, les menuisiers sont en charge des meubles en bois massifs et les ébénistes de ceux en placage de bois exotiques.
Les artisans régionaux amalgament les styles Louis XV et Louis XVI tout en conservant toujours leur particularisme local. On retient ainsi une typologie de meubles par région en bois indigènes, telles que les armoires normandes en chêne richement sculptées, bressannes en noyer et loupe de bois, ou basques, très imprégnées du style Louis XIII. A partir de la Restauration, le mobilier s’uniformise et les particularismes s’estompent. Avec la révolution industrielle, la production des marchands parisiens augmente et s’exporte partout en France. Les artisans ont également recours à des pièces préfabriquées et la clientèle d’antan se fournit dans les grands magasins. C’est à cette époque que l’artisanat local tombe progressivement en désuétude ; il faut attendre les années 1930 pour que le mobilier régional connaisse un regain d’intérêt notamment en Bretagne avec le mouvement Seiz Breur. Le regard se tourne alors sur les traditions d’une société rurale disparue.

L’armoire que vous nous présentez, Jacques, date sûrement du début du XIXème et est originaire du Val de Loire. Cette armoire en bois naturel massif, probablement du bois fruitier, en noyer ou merisier, ouvre par deux vantaux avec une entrée de serrure en forme d’arabesque et des gonds métalliques retenant les portes. La partie supérieure forme une corniche, elle est décorée d’un médaillon central avec une rosace. Les deux vantaux moulurés, la traverse sculptée, chantournée et les pieds avant galbés reprennent la grammaire décorative du style Louis XV. Il se caractérise par le mouvement et le chantournement du mobilier. Le bâti solide, maintenu par des chevilles ainsi que les traces d’outils à l’intérieur du meuble, visibles sur une autre photo, confortent l’origine artisanale du meuble.

On trouve encore de nombreux meubles de ce gabarit et leur valeur dépend de la qualité du bâti, de la présence de la patte de l’artisan ainsi que de l’ornementation et de la finition. Ces meubles, propres à l’histoire locale, sont le reflet d’un décalage chronologique dans l’adoption des styles par les artisans ruraux. Votre armoire, Jacques, mesure près de 2 mètres de haut, des dimensions importantes qui peinent aujourd’hui à trouver une place dans les appartements. Néanmoins, son décor discret et sa conception de qualité nous permettent de l’évaluer à partir de 100 euros, une somme abordable qui nous donnerait envie de l’adopter sur le champ. Et qui sait, peut-être que comme dans le film de Narnia, vous aussi serez transportés dans un monde féérique en ouvrant ses lourdes portes !
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