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Un agriculteur au secours de la République !

Samedi 03 février 2024 à 07h

Quelle coïncidence avec l’actualité ! Cette semaine, Valérie de Blois nous présente un jeune soldat en bronze par Adrien Gaudez, intitulé « Le Devoir ou Cincinnatus ». L’occasion pour notre commissaire-priseur Aymeric Rouillac de revenir sur l’histoire de ce bronze français créé au XIXe siècle, quand la France vacillait.



Cincinnatus incarne encore de nos jours pour de nombreux dirigeants politiques la figure d’un homme providentiel : l’agriculteur qui sauva la République ! L’histoire se passe à Rome en -458 : Cincinnatus, un aristocrate ruiné, se retire à la campagne avec sa famille où il mène une vie simple quand des envoyés de Rome viennent le trouver. L’heure est grave : les peuples des Eques et des Sabins ont déjà mis en échec deux grands généraux romains et la ville est prête à tomber. Le Sénat se souvient de Cincinnatus comme d’un exemple de courage et de force morale ; il lui confie les pleins pouvoirs en le nommant « dictateur ». Notre héros abandonne alors sa charrue pour défendre la patrie. Il réquisitionne tous les hommes en âge de se battre et prend la tête de l’armée qu’il guide de nuit sur l’ennemi. Livrant une bataille foudroyante, il terrasse ses adversaires en une semaine et distribue le butin de guerre aux soldats. Célébré en héros à son retour, il renonce au pouvoir et retourne dans ses champs auprès de sa famille. Déjà très âgé, il est appelé une seconde fois pour déjouer le coup d’état orchestré par un riche propriétaire en pleine famine. Marquant le monde politique par son dévouement et son désintéressement, Cincinnatus devient une figure tutélaire. Le premier président des Etats-Unis, George Washington n’hésite pas à son tour à se faire représenter lui-même comme « le Cincinnatus du Nouveau Monde », sur un buste exposé dans la salle de la Convention en 1792.

Le bronze de Valérie a été réalisé par Adrien Etienne Gaudez (1845-1902) alors que la France est traumatisée par la défaite de 1870 contre la Prusse. La représentation de Cincinatus en jeune éphèbe à moitié nu délaissant le soc de sa charrue pour prendre une épée galvanise le public français qui rêve de revanche. Le sculpteur traite son sujet à l’antique, épousant l’idéal académique de l’époque. Il maitrise à la perfection le « contrapposto » : le poids du corps repose sur la jambe gauche, ce qui permet un fléchissement de la jambe libre. Les bras sont détachés et le torse est légèrement tourné afin de mettre en relief une musculature saillante.

Formé à l’Académie des Beaux-Arts de Paris, Gaudez est sélectionné par le jury de la Société des Artistes français, ce qui lui donne le droit d’exposer au Salon, où il est récompensé à plusieurs reprises. Sa production est prolifique et éclectique, allant de la sculpture de genre aux scènes patriotiques et militaires, qui trouvent place dans les « intérieurs tapissiers » ou sur les places de la jeune République. Cette « statuomanie » fera dire au journaliste Auguste Barbier : «  La mode est aujourd'hui de jouer au grand homme, de se donner, vivant, les airs d'un immortel et d'avoir, comme un saint, sa niche et son autel ». Gaudez remporte une médaille d’or à l’Exposition universelle de 1889, célébrant le centenaire de la Révolution française. La mention « hors-concours », inscrite sur le cartouche du socle de notre statue, indique que l’artiste ne pouvait plus concourir que pour les médailles honorifiques tant il avait déjà reçu de récompenses. Cette reconnaissance lui donne accès à une importante clientèle française et internationale, friandes de sculptures. Pour elle, Gaudez fait tirer ses modèles en bronze dans différentes tailles et patines.

Votre bronze est orné d’une belle patine brune, Valérie ; il mesure environ 76 cm de haut, ce qui correspond à une taille plus que respectable. Si les œuvres de Gaudez ne courent pas les musées français, hormis un groupe en terre cuite au Petit Palais, le travail de l’artiste suscite de l’intérêt aux enchères et certaines œuvres peuvent atteindre des prix importants. Votre bronze pourrait trouver preneur autour de 800 à 1200 euros, une coquette somme pour les beaux yeux du jeune homme ! Alors que semble se déjouer la crise actuelle du monde agricole qui encercle Paris, des bruits de tournage nous apprennent que Cincinnatus aurait inspiré le personnage de Maximus, interprété par Russell Crowe, dans le film Gladiator dont la suite sortira en novembre prochain !
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