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Une fleur de terre et de feu

Samedi 20 janvier 2024

Cette semaine, Yves, de Vouzon, soumet à l’expertise d’Aymeric Rouillac un pichet en céramique à décor floral. L’occasion pour le commissaire-priseur de nous en dire plus sur l’histoire et la valeur de celui-ci.



Retourner les objets, voici ce qui pourrait être le mantra des commissaires-priseurs. Dans notre métier, et en particulier en ce qui concerne la céramique, le revers de la pièce est souvent plus parlant pour permettre de déterminer sa matière, son origine, son époque et son auteur… plus encore que la seule partie exposée aux yeux de tous. Le pichet qui nous est soumis aujourd’hui ne fait pas exception à cette règle. Les objets en céramique blanche peuvent être réalisés en porcelaine ou en faïence. La première résulte de l’utilisation du kaolin, une argile particulièrement riche en silice cuite à haute température. Cette technique est née en Chine dès le 7e siècle après Jésus Christ.

Jalousement gardé, le secret de la porcelaine n’est découvert qu’au 18e siècle en Europe, à Meissen en Saxe. La porcelaine avec sa capacité de laisser passer la lumière, sa blancheur et son imperméabilité, est très appréciée en Europe, où d’importantes collections voient le jour. Elle est alors importée à grands frais de Chine, via le Moyen-Orient. Tentant de copier cette matière, le monde musulman met au point la technique de la faïence qui en ajoutant une couche d’étain sur l’argile cuite, aboutissait à une pièce blanche et imperméable après passage au four. Cette couche pouvait aussi servir de base à la réalisation de décors polychromes sur la céramique par cuissons successives.

Un décor inspiré par l’Allemagne
Cette nouvelle technique est largement diffusée en Europe, d’abord en Espagne puis, en Italie dès la Renaissance. En fonction de la matière première disponible sur place, chaque région développe alors ses propres spécificités et innovations. Ainsi au 18e siècle, la manufacture de la famille Hannong à Strasbourg, se spécialise dans les faïences en trompe-l’œil. Elle se caractérise aussi par l’emploi d’un type de décor inspiré par l’Allemagne avec la « fleur allemande », ou « strasbourgeoise », reprise des livres de botanique d’outre-Rhin. Cette fleur était souvent peinte au « pourpre de Cassius », issu d’une réaction chimique de l’or, comme sur le pichet d’Yvon, d’où son côté précieux. Le revers ocre du pichet et cette couleur, qui ne peut être fixée qu’à basse température grâce à la technique dite « de petit feu », laissent supposer qu’il s’agit ici d’un pichet en faïence. De plus, le revers porte les mentions « Décor Strasbourg Fait Main » et un mystérieux monogramme « CH ». Ces indications nous informent sur l’origine du décor et son ancienneté ainsi que sur son auteur ou, du moins, la fabrique qui l’a réalisé.

CH soit Henri Chaumeil, célèbre céramiste
Le terme « décor fait main » laisse supposer l’existence d’alternatives à la production manuelle et indique que la pièce a été réalisée après la Révolution industrielle. Après cette période, des machines sont en effet mises au point pour produire des céramiques décorées en quantité importante à un faible coût. En réaction, certains artisans se tournent vers des productions manuelles, notamment avec des décors peints à la main comme ici, afin d’exprimer leur créativité et créer des pièces plus rares. Ce pichet a donc sans doute été réalisé entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. Le couvercle est indépendant du pichet et est rattaché par une monture en étain pour le faire basculer.

Mais mieux qu’un pichet… Il s’agit d’un pot couvert pour qu’aucune mouche par exemple ne tombe dans votre breuvage ou qu’il conserve la chaleur de la boisson ! En ce qui concerne le monogramme « CH », il est à rapprocher de la signature du céramiste Henri Chaumeil (1877-1944) dont les créations Art déco furent exposées lors de différents salons notamment le Salon des artistes indépendants et le Salon des artistes décorateurs à Paris. Il réalisa aussi de nombreuses pièces dans des styles anciens, majoritairement du 18e siècle en s’inspirant des décors des manufactures des Islettes à proximité de Reims, des Hannong à Strasbourg, ou encore de la Veuve Perrin à Marseille. Il reprend ici le monogramme de Charles Hannong, le créateur de la manufacture de faïence de Strasbourg.

Une copie de la manufacture Hannong
Votre pot couvert, Yves, est ainsi une copie récente des productions typiques de la manufacture des Hannong du 18e siècle strasbourgeois, réalisée par un céramiste aujourd’hui un peu délaissé par l’Histoire de l’art ayant réalisé de nombreux objets avec ce type de décor. Il est possible d’estimer votre pot couvert entre 50 et 80 euros, à la condition qu’il ne présente pas de fêlure ou autre défaut important ce qui en réduirait la valeur. Si ce montant reste modique il vous permettrait de vous offrir un verre si vous décidiez de visiter, un jour, la capitale alsacienne !
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