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Liberté en mode phrygienne

Samedi 23 juillet 2016

Cette semaine, Michèle, de Noyers, écrit à Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, au sujet d’une miniature. Elle souhaite savoir qui sont les personnages représentés et connaître la matière du cadre.

Avant d’en savoir plus sur cet objet, il nous faut conter l’histoire qui le lie à la famille qui le possède. Il fut offert à la grand-mère maternelle de notre lectrice, née en 1895, alors qu’elle travaillait dans un château à la frontière belge, communément dénommé « Château Napoléon ». Le voici désormais dans une maison de Noyers !
De couleur bistre, cette miniature de forme ronde mesure 12 cm de diamètre. Elle figure une femme, richement vêtue, la tête ceinte d’une couronne murale (symbolisant les villes sous sa protection), qui serre contre elle un jeune garçon coiffé d’un bonnet phrygien. L’œuvre présente un fond paysagé représentant un bord de mer. Michèle suppose qu’il s’agit de métal émaillé. Surphotographie, il nous est malheureusement impossible de le confirmer. Cerclée de laiton doré, elle s’inscrit dans un cadre « en bois dur noir ».Peut-être s’agit-il d’ébène, ou plus simplement de bois noirci. Est-elle signée ? Ces points obscurs nous invitent à la plus grande prudence pour une estimation sur photographie. Si cette œuvre est originale, elle date de la fin du XVIIIe ou du début du XIXe et peut, au minimum se négocier 100 €.
L’identification du sujet nous amène à vous conter une bien curieuse histoire comme on en rencontre seulement dans les mythologies polythéistes, celle de Cybèle et Attis. Cybèle est une déesse-mère originaire de Phrygie (une région de l’actuelle Turquie) dont le culte est répandu dans l’ensemble du monde antique. Quant au dieu Attis, il était le jeune amant de la mère des dieux. Lorsque cette dernière apprend qu’il a une relation avec une nymphe, elle lui jette un sort qui le rend fou. Attis, dans un élan de démence, s’émascule et, selon la version, se suicide… Nous n’épiloguerons pas sur le culte sanglant rendu à ce dieu. Intéressons-nous plutôt à sa coiffe.

Comme tout bon habitant de Phrygie, il porte un bonnet… Phrygien ! Cette coiffure était relativement répandue en Orient sous l’Antiquité. La symbolique de liberté qui lui est attachée vient du fait qu’il ressemble fort au pileus, le chapeau qui coiffait les esclaves affranchis sous l’Empire romain. Rien d’étonnant donc, que les nations s’estimant libérées d’un joug, le hissent en symbole. Citons, en Histoire moderne, la Guerre d’Indépendance américaine et, bien évidemment, la Révolution. Cette coiffe apparaît chez nous en 1790. On la nomme alors le « bonnet de la liberté ». Vous vous souvenez probablement de cet épisode durant lequel les parisiens ayant envahi les Tuileries forcent le Roi à s’en coiffer. Elle devient peu à peu populaire mais est le plus souvent portée par les sans-culottes les plus enragés, en particulier sous la Terreur. Elle disparaîtra sous l’Empire, Napoléon ne voulant pas en entendre parler. Les révolutions du XIXe tentent de l’imposer à nouveau, mais l’image terroriste de1792-1793 qui lui est associée empêche toute réhabilitation. Aujourd’hui, le bonnet Phrygien est inséparable de Marianne et donc de la République que nous avons fêté le 14 juillet dernier. Puissions-nous, malgré les derniers évènements tragiques, toujours le coiffer pour célébrer la liberté de notre pays et de notre culture.
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