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Ustensile impérial !

Samedi 11 juin 2016

Cette semaine, André soumet à Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, la photographie d’une turbotière en cuivre.

Cette semaine, André soumet à Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, la photographie d’une turbotière en cuivre.

Vous arrive-t-il parfois de décrocher vos casseroles en cuivre des murs de votre cuisine dans un autre but que leur lustrage ? Je gage que non ! Et vous avez probablement raison de ne plus les employer pour cuisiner… En effet,vous pouvez l’observer sur les statues de bronze, l’oxydation du cuivre produit du vert-de-gris. Ce dernier est toxique pour notre organisme, voire parfois même mortel ! Dans un ouvrage publié en 1819, M. de Bourniseaux évoque nombre d’empoisonnement stratégiques : « Il n’y a pas de villes(…) où, chaque année, on n’entende parler d’empoisonnements causés par des vaisseaux de cuivre » et il conclut : « Bannissons le cuivre de nos cuisines ! ». Le gouvernement français l’a presque fait. Sachez quel’usage de cuivre non protégé pour la cuisine est interdit. Certains prétendent même ainsi expliquer la chute de Rome ! Ne vous précipitez pas dans votre placard pour vous débarrasser de vos délicieuses confitures préparées dans une bassine de cuivre nu. Le sucre neutralise l’oxydation ! En revanche, surveillez bien la couche d’étain qui recouvre l’intérieur de vos ustensiles. Si elle est usée,vous courez de grands risques. Il n’y a guère plus que les grands cuisiniers qui utilisent des batteries en cuivre, appréciant la cuisson homogène permise par la grande conductivité de ce matériau.

La turbotière d’André, vous l’aurez deviné, sert à cuire le turbot, ou tout autre poisson de taille similaire ayant cette forme losangique. Surnommé le« faisan des mers » pour sa chair d’une grande finesse, c’est un met délicat et onéreux, très apprécié des fins gourmets… Depuis l’Antiquité !Joseph de Berchoux, inventeur du mot gastronomie, rapporte une anecdote sur l’empereur romain Domitien. Il convoque un jour le Sénat, toutes affaires cessantes. Les Sages se pressent, il en va probablement du Salut de l’Empire ! L’Empereur se hisse à la tribune et les interroge sur… La meilleure façon de cuire un énorme turbot pêché la veille ! Après un grand débat, il fut décidé qu’un plat devait être créé spécialement pour ce poisson : la turbotière était née ! Or, 1 500 ans après, Brillat-Savarin écrit : « Après une dégustation attentive, il fut décidé à l'unanimité que le poisson apprêté de cette manière – à la vapeur - était incomparablement meilleur que s'il eût été cuit dans une turbotière ». Le célèbre gastronome donne tort à Domitienet au Sénat romain ! En effet, dans ce plat, le poisson baigne dans l’eau decuisson et s’en gorge, ce qui met à mal la fermeté de sa chair. D’où la plaque ajourée amovible pour l’égoutter.

La turbotière de notre lecteur, à bords enroulés et poignées de laiton, mesure 70 x 60 cm. En bel état, elle fut probablement fabriquée en France, au milieu de XIXe siècle, elle possède sa grille mais n’a pas de couvercle, ce qui aurait été un plus pour les amateurs. Les cuivres sont aujourd’hui boudés et n’ont guère plus de valeur que le poids du métal qui les composent. En revanche, pour les pièces rares et sortant de l’ordinaire, comme cette turbotière, les collectionneurs répondent présents. Comptez autour de 100 € en brocante. Mais attention à l’état de l’étain !
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