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La clé des champs !

Samedi 13 mai 2023 à 07h

Annie, d’Onzain, soumet un charmant tableau à notre commissaire-priseur, Philippe Rouillac, qui nous en dit plus sur l’histoire et la valeur de cette toile.



Ce troupeau de vaches et de moutons nous plonge dans la France de la seconde moitié du XIXe siècle. S’il s’agit du siècle de la Révolution industrielle avec l’invention d’impressionnantes machines permettant le travail en série. Il n’en demeure pas moins que la plupart des territoires restent ruraux, avec trois quart des Français qui résident à la campagne.
Grace au chemin de fer, les peintres découvrent avec facilité les régions de l’hexagone et se font les chantres des scènes champêtres. L’invention des tubes de peinture en 1841 participe à cet enthousiasme collectif. Les vaches sont les nouvelles muses, et les études d’arbres sont intégrées au concours du Grand Prix de Rome à partir de 1816. Ce contexte historique bouleverse les sujets, mettant un terme à la « hiérarchie des genres ». Établie dès l’Antiquité et théorisée au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, cette hiérarchie avantage les représentations historiques et mythologiques. Ces dernières dominent les illustrations de paysages, de portraits et de natures-mortes. Au XIXe siècle, l’inverse est la nouvelle règle : le petit genre remplace le grand genre. Ainsi le Salon, qui est l’événement annuel de la peinture à Paris, devient une véritable ferme où se mêlent scènes de basse-cour et étables. Louis-Aimé Japy (1839-1916), le peintre de votre toile, consacre tout son œuvre aux animaux des prés et aux hommes des champs, à l’instar d’autres grands artistes comme Constant Troyon ou Rosa Bonheur.

Comme ses contemporains, Japy renouvelle la façon de peindre et de travailler. Élève de Camille Corot, il apprend à croquer en plein-air puis retravaille en atelier les compositions préalablement dessinées. La touche sur la toile finale demeure plus légère, moins léchée et tend à retranscrire les effets de ciel ou les mouvements des animaux. Ce vocabulaire esthétique s’inscrit pleinement dans la pensée et le raisonnement de l’école de Barbizon. Créée autour de 1820, elle se présente plus comme un foyer artistique qu’une véritable école de peinture. En effet, aucun enseignement n’y est dispensé par un maître. Tout au plus, des conseils sont prodigués par les figures tutélaires tandis que les jeunes artistes prolongent la veine antérieurement instituée. Outre Corot que nous avons déjà cité, il faut à l’évidence relever l’œuvre de Jean-François Millet dont un tableau de paysans n’est autre que la toile la plus chère du XIXe siècle : L’Angélus vendu 553.000 francs. Partie aux États-Unis, l’œuvre revient en France en 1909 pour être exposée au musée du Louvre. Vous ne manquerez pas de la trouver aujourd’hui au musée d’Orsay où elle trône fièrement au milieu de la salle des peintres du mouvement réaliste.

Une étiquette au dos du tableau de notre lectrice précise que des tableaux de Japy sont exposés à « Paris – Amsterdam – Budapest – Langres » et… qu’ils présentent de « très grosses cotes dans les grandes ventes » ! Ces mentions sont aujourd’hui à relativiser. Si les cimaises de quelques musées accueillent effectivement les œuvres de Louis-Aimé Japy, sa cote est sur une pente descendante... La mode est plus au « street art » qu’au « farms art » pour reprendre l’expression anglaise ! En vente publique, il pourrait ainsi être estimé entre 300 et 500 €. Une somme déjà coquette pour s’offrir la clé des champs !
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