Suivez le guide

Cette semaine, Dominique nous écrit de Lamotte-Beuvron afin d’en apprendre davantage sur un « livre Michelin de 1946 pas abîmé ». Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, satisfait sa curiosité.

À l’approche de Noël et de la Saint-Sylvestre, qui ne se creuse pas la tête pour élaborer le menu idéal de repas de fête ? Certains ont déjà réglé le problème, ils souperont au restaurant ! Oui mais… dans quel restaurant ?

La réponse à cette question se trouve très probablement dans le vade-mecum des gourmets : le Guide Michelin. Il aiguille les papilles les plus exigeantes depuis 1900 ! Il naît de l’esprit des frères André et Edouard Michelin, les créateurs de la société éponyme qui fabrique des pneumatiques pour vélos et automobiles. Dites-vous bien que vers 1900, seulement 3 500 voitures sillonnent les routes de l’hexagone. Et rien n’est adapté pour elles. Où faire le plein ? Où réparer ? Où changer ses pneus ? Un casse-tête ! C’est donc à point nommé que survient ce fabuleux outil promotionnel qu’est le Guide Rouge.Gratuit, il tire son surnom de la couleur de sa couverture en percaline, un matériau qui s’apparente à de la toile enduite. Une manne providentielle pour ces chauffeurs téméraires qui s’aventurent à bord de machines tombant sans cesse en panne sur des routes chaotiques, sans signalisation. Pressentant le succès de ce nouveau mode de locomotion – et de son guide ! - André Michelin prédit : «ce guide nait avec le siècle, il durera autant que lui». L’avenir lui donnera plus que raison. En 1918, on compte 95 000 voitures en France, elles sont 500 000 en 1923. C’est cette année qu’apparaît la rubrique «hôtels et restaurants recommandés». En 1927, plus d’un million d’automobilistes pourront en profiter. Un an auparavant naissait la célèbre «étoile de bonne table», qui fait encore aujourd’hui la pluie et le beau temps de la haute gastronomie française, mais aussi mondiale. Ne se cantonnant pas uniquement au luxe, il recommande hôtels et restaurants de toute catégorie. Ces établissements sont sélectionnés par des inspecteurs anonymes, immortalisés, souvenez-vous en, par Louis de Funès dans « L’Aile ou la Cuisse ». Dans la seconde moitié du XXe siècle, le tourisme routier augmente. Le guide évolue avec lui et devient un outil indispensable à toute sortie et pour toutes les vacances. Monument de la culture française, cet ouvrage a également fait l’Histoire. En 1944 les Alliés débarquent en Normandie. Ils ont bien du mal à cheminer dans un pays où les Allemands ont pris soin de détruire toute signalisation routière. Ordre est donc donné de réimprimer l’édition du Guide Michelin de 1939 car il contient nombre de plans détaillés ! L’impression se fait aux Etats-Unis, à Washington ! Bientôt, chaque officier américain en glisse un dans sa poche.

Ce guide, véritable best-seller, touche ainsi un très large public. Entre 1900 et 2005, 95 éditions France se sont vendues à plus de trente millions d’exemplaires à travers le Monde. Le Guide 1900 est tiré à 35 000 exemplaires. Aujourd’hui, il s’en vend 800 000 chaque année ! Celui de Dominique date de 1946. À cette époque, le tirage est déjà considérable. Les Guides de cette année ne sont pas rares. D’autant plus qu’étant de toutes les sorties, très sollicités et mal rangés dans la boîte à gants… ils nous parviennent rarement en bon état !

Celui de notre lecteur ne fait pas exception à la règle. Comptez ainsi une dizaine d’euros en brocante. Pour Dominique, le trésor est donc… dans le Guide ! Quel dommage qu’il ne date pas de 1900 ! Le dernier de ce millésime est passé en vente aux enchères en juillet dernier et a été adjugé à Clermont Ferrand… 22 000 € !