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Un pot qui a du piquant !

Samedi 07 novembre 2015

Cette semaine, Yolande, de Blois, écrit à Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur pour en connaître plus sur un pot à moutarde.

Cette semaine, Yolande, de Blois, écrit à Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur pour en connaître plus sur un pot à moutarde.

Jules César se rend maître de la Gaule en 52 av. J.-C. Parmi les nombreuses choses que les Romains apportent à cette province, se trouve une plante se cultivant très facilement : la moutarde noire. Les propriétés médicinales et culinaires de ses graines sont connues depuis la plus haute Antiquité. Sous nos latitudes, sa culture se développe là où l’on fait du vin.Et pour cause, le condiment extrait de la plante éponyme est fait de graines broyées et mélangées avec du vinaigre, ou du moût de raisin. Ce Mustum ardens, moût ardent, piquant, donnera en français moutarde. Charlemagne recommande de cultiver cette épice dans tout l’Empire. Et la Bourgogne alors ? Tours, Bordeaux, Reims ou encore Meaux deviennent des villes réputées pour leur moutarde, mais elle ne doit certainement pas être aussi goûteuse qu’en Bourgogne…! Au XIVe siècle, un chanoine de Lille écrit : « Il n’est moutarde que à Dijon ». Autrement dit, inutile d’aller voir ailleurs, la meilleure se fait dans la capitale des Ducs bourguignons ! Rien d’étonnant à cela, le duché s’en est fait une spécialité et réglemente sa production en 1390. Et gare à qui badinerait avec la moutarde ! Quiconque est pris à en élaborer une mauvaise, s’expose à de lourdes amendes. Dijon essaime des colporteurs dans toute la France. Ils font bientôt fortune en vendant ces "saulces et épices d'enfer". Sous la Renaissance, elle est un condiment très raffiné, apprécié de tous les fins gourmets. En témoigne Rabelais qui, en 1534, fait avaler des tonnes de moutarde à Gargantua : "quatre de ses gens luy gettoient en la bouche, l'un après l'aultre, continuement, moustarde à pleines palerées". Louis XIV s’en régale également, et aujourd’hui qui peut s’en passer ? Mais pas question de la présenter n’importe comment sur la table.

À noble condiment, noble contenant : le moutardier. Ce récipient couvert adopte souvent la forme d’un baril rappelant l’aspect des tonneaux de vin. Dans le cas de celui de Yolande, la référence est aussi explicite : un vinaigrier. Il comporte une échancrure en partie supérieure afin de laisser passer le manche de la cuillère. Ne le confondez pas avec le pot à moutarde, qui a pour but de la conserver. Si les plus anciens moutardiers connus (XIVe siècle), sont en étain, les matériaux utilisés au fil du temps pour leur réalisation sont fort divers : argent, verre et céramique. Ici, il est en faïence et reçoit un décor polychrome de feuillages stylisés, ferronneries et est centré des armoiries de la ville de Dijon. On peut lire, au-dessous : « 1918 /Fifi / Grey-Poupon / Dijon ». Cette ornementation et ces couleurs sont typiques des productions courantes de la faïencerie de Desvres, située près deBoulogne-sur-Mer. Boulogne-Dijon ? ! La publicité ignore les kilomètres… Eh oui, ce moutardier, c’est du marketing ! Il était probablement offert en cadeau aux fidèles de la moutarde Grey-Poupon. Fondée en 1777, cette maison est aujourd’hui bien plus célèbre aux États-Unis que dans l’hexagone.

Ce moutardier date donc de 1918. Il doit probablement avoir un nombre incalculable de sosies et n’est donc pas rare. En bon état, comptez une dizaine d’euros en brocante. Vous n’avez désormais plus aucune raison de ne pas laisser cet inélégant pot à moutarde au placard, au profit de votre très chic moutardier.
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