Le triomphe... du temps

Cette semaine Didier sollicite Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, pour qu’il réponde à ses nombreuses questions concernant une pendule. Artiste ? Sujet ? Époque ? Suivez le guide.

Nous aurions bien du mal à remarquer le cadran de cette pendule s’il n’était émaillé blanc, tant il est petit par rapport à la sculpture qui le surplombe. Mesurant 80 cm de haut, celle-ci figure un éphèbe dénudé brandissant fièrement une couronne de laurier. Derrière lui, un cheval ailé se cabre. Didier nous précise qu’elle est accompagnée de deux vases de 44 cm de haut figurant une tête de lion rugissant. L’ensemble forme ainsi une garniture de cheminée, qui en impose !

Le sujet nous renvoie à la mythologie grecque. Vous aurez reconnu le légendaire Pégase, représenté ici avec son cavalier : Bellérophon. Ce jeune homme, fût chargé de libérer un royaume des ravages d’une terrible créature crachant du feu : la chimère. Cette bête à corps de lion est pourvue d’une tête de chèvre sur le dos et d’un serpent en guise de queue. Jamais personne n’était parvenu à la terrasser et Bellérophon se demandait bien comment il y parviendrait. Un nuit, Athéna lui apparaît en songe et lui parle de Pégase, la seule monture assez rapide pour éviter les flammes de la chimère. Mais encore faut-il le capturer ! Pour ce faire, la déesse lui remet une bride d’or. Et voici notre jeune homme chevauchant le fabuleux coursier pour mettre fin aux jours de la chimère. Criblé de flèches, un bloc de plomb dans la gueule, le monstre succombe. Quelle gloire pour notre héros, symbolisée ici par lacouronne de laurier.

Ce groupe en alliage économique à la façon du bronze, le régule patiné, est titré « Triomphe immortel ». Le cartel nous précise le nom des auteurs : L. Moreau et Scotte. Louis-Auguste Moreau (1855-1919) est un artiste français connu pour les nombreux bustes qu’il réalise de ses contemporains, mais aussi pour ses sculptures décoratives, souvent destinées à des monuments. En 1910, il expose « Le Triomphe » au Salon ; c’est notre Bellérophon. Il nous est donc permis d’imaginer que M. Scotte est l’auteur de Pégase, mais cet artiste reste parfaitement inconnu.

Cette pendule, de par son sujet mythologique et la pompe avec laquelle il est traité, est très représentative de l’Art académique. Art officiel contre lequel les Impressionnistes, notamment, n’auront de cesse de se battre. Le régule, bon marché, remplace souvent le bronze pendant et après la Grande Guerre. On peut donc supposer que cette garniture exaltant des sentiments patriotiques - en pleine lutte contre la chimère germanique - fût livrée durant cette période. Malheureusement, le marché de l’Art boude cette matière. Pour son aspect imposant mais néanmoins élégant, son sujet plaisant et ses grandes qualités décoratives, comptez environ 300 €. En bronze, son estimation serait dix fois supérieure ! Pensez tout de même à délaisser un instant la statue au profit du cadran, car, cette nuit, nous changeons d’heure ! Eh oui, seul le temps est immortel, et il triomphe invariablement !