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Des pierres musicales

Samedi 03 octobre 2015

Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, se penche cette semaine sur trois pierres illustrées. Dessiner sur une pierre ? Quelle drôle d’idée !

Contrairement à ce que l’on peut penser, nous ne sommes pas ici face à la lubie d’un artiste un peu loufoque qui, un beau jour, décide d’en finir avec le papier et la toile. Non, non ; ces pierres nous font entrer dans la grande famille des multiples, qu’on appelle estampe. L’estampe est une image imprimée sur un support à partir d’une matrice.

Il existe différentes techniques de l’estampe. Si la plus proche de nous est le négatif (ou la carte mémoire) qui permet de produire en grand nombre une photographie, les deux plus célèbres sont la gravure et l’estampage à plat. Lorsque la matrice est gravée, on parle de gravure. Suivant qu’on utilise des outils sur bois ou sur métal, on les nomme respectivement xylogravure et taille douce. Si l’on emploie de l’acide qui vient ronger le support c’est alors une eau-forte... La seconde grande technique se fait par ajout de couleur sur la matrice que l’on encre : la lithographie, qui nous intéresse dans ce cas précis, étant le procédé le plus populaire.

Cette technique inventée en Allemagne en 1796 porte un nom venant du grec : lithos, pierre et graphein, écrire. Elle repose sur le principe de répulsion de l'eau par un corps gras. En voici les étapes : à l’aide d’un crayon lithographique ou d’encre grasse, l’artiste dessine, à l’envers, sur une pierre calcaire d’un grain très fin, sans défaut. Le calcaire, poreux, absorbe et retient le gras. Pour fixer ce dernier et le rendre parfaitement imperméable, on recouvre ensuite la pierre d’un mélange de gomme arabique et d’acide. Puis, on la mouille. Le dessin rejette l’eau alors que le reste du support s’engorge. À l’aide d’un rouleau on applique alors l’encre qui vient « s’accrocher » aux parties grasses.Nous touchons au but : une feuille est posée sur la pierre qui est placée sous la presse. La forte pression permet alors au papier d’absorber l’encre. Et voilà ! Pour obtenir une œuvre polychrome, il faut dessiner chaque couleur sur une pierre indépendante et passer sous presse la même feuille avec autant de pierre que de couleurs désirées.

La lithographie a le grand avantage de permettre un nombre de tirages quasiment illimité. En effet, contrairement aux matrices en bois ou en cuivre,la pierre ne s’use pas. De plus, elle offre aux artistes des effets graphiques nouveaux :nombre d’entre eux se laissent séduire. L’âge d’or de la lithographie est à la Belle Époque, période qui s’étend des années 1870 jusqu’à à la veille de la Première guerre mondiale. Les éditions illustrées connaissent un essor considérable, à l’image des affiches publicitaires. Toulouse-Lautrec, Bonnard ou Chéret sont autant de grands artistes dont les œuvres lithographiques sont restées immortelles. Et ce, notamment grâce à la publication, à partir de la fin du XIXe siècle, de la revue mensuelle Les Maîtres de l’Affiche qui reproduit« les plus belles affiches illustrées ».

Les pierres de notre lectrice, datées de 1907 et de 1913, figurent la couverture d’un livret de partition pour des chansons :« Les roses fanées », « Retour de Chicago » et une musique militaire dédiée au colonel Fourest du 131e régiment d’infanterie cantonné à Orléans. De bonne qualité artistique, leur style est typique du début du XXe. Elles sont éditées par des disquaires cherchant à faire connaitre leur nouveauté, dont Bonnaventure, qui est aujourd’hui encore l’une des plus ancienne enseigne de Caen. La qualité des photographies ne nous permet pas d’identifier leur auteur. De taille modeste (environ 30 x 25 cm) leur rareté vient du fait qu’en raison de leur coût, on polissait les pierres lithographiques une fois le tirage effectué dans le but de les réemployer. Ce sont donc des rescapées ! Comptez environ 50 € pièce en brocante pour ces témoins d’une autre époque, dont le caractère atypique ne manquera pas d’apporter une touche particulière dans la décoration d’un intérieur d’artiste ou de mélomane !
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