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Orient breton

Samedi 27 juin 2015

Cette semaine Mireille écrit de Mazangé à Aymeric Rouillac, commissaire-priseur. Elle lui demande de lui ôter ses doutes au sujet d’une assiette dont elle souhaite connaître l’époque et la valeur.

L’assiette de Mireille, de forme ronde à bords légèrement chantournés est en faïence. On le devine notamment du fait de la teinte particulière de l’émail blanc qui recouvre la terre, et à l’épaisseur de ses bords. Le fond de l’assiette, nommé « bassin », reçoit un décor polychrome figurant la vue d’un port. Au premier plan on remarque la poupe d’un navire sur laquelle flotte le drapeau blanc, le drapeau du Royaume de France. Étendard que l’on retrouve au sommet d’une tour située derrière un imposant bâtiment. L’aile de l’assiette est ornée en bleu de rinceaux feuillagés et, sur le bord d’un liseré poudré qui n’est pas sans rappeler le décor de nombreuses faïences de Quimper. En partie supérieure, elle est agrémentée d’armoiries. Le marli (la partie inclinée située entre l’aile et le bassin) porte quant à lui cette devise latine : « Florebo Quocumque Ferar ». Autant dire qu’un sacré nombre d’indices nous met sur la voie de l’identification de cette faïence. Nous serions face à un port breton, au XVIIIe siècle. Appuyons –nous sur la sentence latine qui se traduit par « Je fleurirai partout où je serai portée / plantée ».Très célèbre, elle est la devise de la fameuse Compagnie française des Indes orientales. De plus, le blason situé sur l’assiette est le sien. Par conséquent, ce port ne peut être que celui de Lorient, ville dont l’histoire est plus qu’étroitement liée à celle de la Compagnie.

Imaginée par Colbert, celle-ci est créée en 1664. Véritable machine de guerre commerciale, elle doit concurrencer la Hollande et l’Angleterre, jusqu’à présent reines des océans. Pour ce faire, et pour favoriser le lucratif commerce des soieries, épices, thé, coton laques et porcelaines, Louis XIV lui accorde nombre de privilèges. Citons notamment l’exemption de taxes et le monopole du commerce dans l'hémisphère oriental. Mais il lui faut un port d’attache. Ainsi, elle s’installe dans une rade à l’abri de la citadelle de Port-Blavet (aujourd’hui Port-Louis), en1666. Il est d’abord décidé d’y construire des chantiers navals. Le premier navire de 1000 tonneaux construit est baptisé le Soleil d’Orient mais surnommé l’Orient. Il donnera son nom à la cité qui s’élèvera bientôt à cet endroit : Lorient. Les trésors rapportés des Indes, de Chine et du Japon feront bientôt les beaux jours de la Compagnie, des armateurs et de la ville.Des paysans accourent des quatre coins du Royaume pour chercher fortune sur les quais. Et, malgré nombre de péripéties, Lorient et la Compagnie prospèrent. Entre 1709 et 1730, la cité passe de 6 000 à 20 000 habitants ! C’est à Jacques Gabriel, premier architecte du Roi (à qui l’on doit notamment l’Hôtel de Ville de Blois et le pont éponyme) que la gestion de l’extension urbaine est confiée. Au XVIIIe siècle, Lorient est le siège de la plus grande foire d’Europe. Monopole oblige, elle est l’unique lieu de vente des produits coloniaux. Port de guerre et arsenal royal à la fin du siècle, c’est l’une des quatre cités maritimes à être capable de construire des vaisseaux de ligne. Commercialement, elle décline suite à la disparition de la Compagnie sous la Révolution, mais garde une importance capitale pour la Marine de Guerre.Fonction qui causera sa destruction presque totale par les bombardements alliés de 1943, visant à anéantir la base de sous-marins allemands. Du Lorient du XVIIIe, il ne reste aujourd’hui presque plus rien… à part peut-être la Tour de Découverte que l’on voit sur l’assiette de Mireille. Elle avait pour but de guetter les navires de la Compagnie des Indes arrivant au port, mais également de surveiller l’approche des escadres anglaises.

Malheureusement, l’assiette de notre lectrice ne date pas du XVIIIe siècle. Elle ne doit d’ailleurs pas avoir 30 ans et a probablement été faite pour garnir les étals d’un magasin de souvenirs... De bonne qualité, sa valeur n’est pourtant pas importante : comptez 20 € en brocante. En revanche, elle raconte une histoire absolument fabuleuse qui pourrait occuper le journal entier… et les vacances des lecteurs qui auront la joie de les passer dans le Morbihan !
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