8ème VENTE GARDEN PARTY A CHEVERNY
Lot 302
Gabriele D'ANNUNZIO. Manuscrit autographe signé en tête, « Aux bons chevaliers latins de France et d'Italie ». 234 pages in-fol. sur papier ingres à vignettes et devises (Sufficit Animus Prima Squadriglia Navale et Memento Audere Semper), sous deux chemises en velours et toile, plats recouverts d'étoffe ancienne brochée, gardes et rubans de soie, attaches et rivets de cuivre en forme de fleurs de lys. TRÈS IMPORTANT ET SUPERBE MANUSCRIT EXALTANT L'AMITIÉ FRANCO-ITALIENNE QUI FUT ADRESSÉ AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ALBERT LEBRUN EN SEPTEMBRE 1935. Mussolini venait de refuser l'arbitrage de la Société des Nations dans le conflit qui l'opposait au Négus et s'apprêtait à envahir l'Éthiopie. D'Annunzio décida alors d'appuyer publiquement l'action du Duce et accepta avec enthousiasme d'écrire ce long message qui devait détourner la France de la coalition antifasciste. Il l'envoya au président Albert Lebrun qui ne répondit pas car -c'est du moins la raison officielle -il n'avait pas qualité pour le faire. La première partie de ce manuscrit reprend des passages de la nouvelle « Le Dit du sourd et du muet », composée dès 1930, où d'Annunzio rendait hommage à la langue et au pays de France en imaginant être venu en France avec Brunetto Latini, et, sourd et muet, avoir recouvré la parole en 1266 en voyant pleurer le roi Louis à la Sainte-Chapelle.
La seconde partie, rédigée en août 1935, a un caractère plus ouvertement politique et se réfère aux événements en cours. Ce texte sera publié la même année dans Teneo te Africa, recueil de ses écrits relatifs à la guerre d'Éthiopie (cf. Gabriele d'Annunzio, par Paolo Alatri, Fayard, 1992).
La page de titre est ainsi rédigée, à l'encre rouge et noire :
Gabriele d'Annunzio
mutilé de guerre
aux bons chevaliers latins
de France et d'Italie.
« Pour léalté maintenir»
XXVII aout MCMXXXV.
Le manuscrit, écrit à l'encre de Chine dans la superbe calligraphie de d'Annunzio, débute ainsi :
« Je suis le très studieux écrivain français du jeu de la Rose et de la Mort, légitimement au nombre des Écrivains combattants de France, aussi bien que des simples combattants, des mutilés et des invalides, qui m'ont fait le grand honneur de me recevoir dans leurs associations. Après vingt ans révolus; après la bonne guerre sans trêves et ma trop longue aventure adriatique achevée dans le meurtre fraternel, je viens de parfaire un nouveau livre en prose française, le livre de mon amour au langage français, "à la parleure plus delitable" de mon ancêtre florentin, le livre de mon dévouement sans bornes à ma seconde patrie, le dédiant « aux bons chevaliers latins de France et d'Italie» pour opposer hardiment un lumineux témoignage à des ombres importunes. »
L'écrivain explique pourquoi il a choisi la devise des Lusignan pour accompagner son texte, et comment lui-même est lié irréductiblement à la tradition française et à ses grandes figures littéraires...
« Ma première adolescence respirait en deux langages, semblait exhaler son angoisse expressive par l'un et par l'autre de ses deux poumons distincts. Déjà elle sentait, elle savait que le langage est une chose charnelle la plus mystérieuse entre les choses de la chair. » ...
Il avoue avec orgueil travailler depuis des années à l'alliance fraternelle de « cette grande patrie latine qui va de la Flandre française à la mer de Sicile », et parle avec lyrisme de la guerre de 1914-1918, de ses discours et écrits louant « le miracle français », de son engagement auprès des Alliés, de son expédition de Fiume en 1919 jusqu'aux événements de 1935. « Il n'y a pas un mouvement de générosité, pas un sentiment humain dans cette Europe si armée et si lâche, qui croit encore que la lâcheté assure la paix. Heureusement, il n'y a pas une âme un peu fière, en Italie et en France, qui ne souffre de cette odieuse tentative ... » C'est pourquoi la France doit être solidaire de sa sœur latine dans cette guerre africaine contre la domination humiliante de l'Empire britannique, elle doit soutenir « cette jeune nation ivre de volonté et de liberté, conduite par ce Chef que Borgne voyant avait annoncé en ses Chants de la Souvenance et de l'Attente... »
Il évoque certaines de ses œuvres comme Le Martyre de saint Sébastien, Le Chèvrefeuille ou La Pisanelle pour déclarer son attachement à la France. Il estime qu'il faut refuser les négociations et les marchandages des politiciens banquiers frauduleux, les décisions de la SDN, « de vieilles danaïdes diplomatiques dont les tonneaux ne sont que des chaises percées à jour... » Il espère donc ardemment la rupture avec Genève et souhaite que l'Italie se jette avec courage dans le combat d'outremer.
Le texte se clôt sur une évocation de la mort de l'aviateur Jean Roulier le 15 août 1916, et par des citations de L'Ode pour la résurrection latine:
«Je crie et j'invoque les deux noms divins,
Les plus hauts de la terre
Jusqu'à ce que le ciel entier s'enflamme
de la double ardeur
( ... )Je crie et j'invoque : ô Italie! ô France »...
Le manuscrit est daté en fin : 27 août 1935. Il est placé dans de PRÉCIEUSES CHEMISES DE RICHE ÉTOFFE ANCIENNE BROCHÉE. On joint un article relatif à ce manuscrit et à son envoi à Albert Lebrun.
ON JOINT une L.A.S., Arcachon II août (1913), à la comédienne Berthe BADY (5 pages in-4° enveloppe). Au sujet de sa pièce Le Chèvrefeuille (qui devait être créée le 14 décembre 1913 au théâtre de la Porte-Saint-Martin). D'Annunzio attend des nouvelles plus claires en ce qui concerne les dates possibles, il ne veut pas entrer dans « un débat odieux» qui l'opposerait à Henry Bataille et peut réserver sa pièce pour une époque plus favorable... Il n'a pas retrouvé tout son courage pour supporter la solitude de la Lande, « mais la mélancolie est la muse voilée des œuvres fortes » ...
Adjugé : 7 927 €