Un vase de cent ans
Samedi 18 octobre 2025 à 07h
Cette semaine, Francis, l’un de nos fidèles lecteurs, soumet à notre expertise une potiche couverte qu’il présente comme chinoise. L’occasion pour Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, de nous en dire plus sur l’histoire et la valeur de cette céramique.

Il y a 165 ans, durant la Seconde Guerre de l’Opium, les troupes franco-britanniques mirent à sac et incendièrent la résidence des empereurs de Chine, connue sous le nom de Palais d’Été. Cet événement, véritable traumatisme dans la conscience collective chinoise, a entraîné la perte de nombreuses pièces majeures de l’art chinois. Victor Hugo, l’un des rares à avoir condamné cette action, nous en a laissé un témoignage poignant dans sa lettre au capitaine Butler : « Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, […] Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’Été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l’Orient. »
Aujourd’hui, de nombreuses œuvres d’art issues du Palais d’Été sont considérées comme perdues, ou bien elles ont intégré des collections publiques ou privées à travers le monde. Le passage d’une pièce provenant de ce lieu mythique sur le marché de l’art déchaîne les passions et devient un véritable enjeu diplomatique, notamment lorsqu’il s’agit de porcelaines. Nous en avons été plusieurs fois les témoins, et les acteurs !
Justement, l’objet de la semaine est une porcelaine : une potiche couverte de forme balustre, décorée de fleurs et de branches de prunus en réserve, sur fond peint en bleu. Le couvercle est ici cerclé de bois, sans doute pour le renforcer après avoir été recollé, comme vous nous l’indiquez.
Le secret de la maîtrise de la porcelaine fut découvert en Chine à partir du VIIIe siècle après Jésus-Christ. La terre argileuse, riche en kaolin, devait être mélangée à du feldspath, puis cuite à très haute température afin de vitrifier la matière, la rendant translucide. Les couleurs, à base d’oxydes métalliques — notamment le cobalt pour le bleu — s’incrustent dans la matière au moment de la cuisson, ce qui les rend particulièrement durables. Les décors bleus et blancs sont apparus durant la dynastie Yuan, mais cette technique atteignit son apogée sous la dynastie Ming, d’où l’appellation populaire de « vase Ming » pour ce type de porcelaine. Les décors sont également riches en symboles : ainsi, le phénix ou le dragon à cinq griffes étaient réservés à l’empereur et à ses plus proches parents. Dans la culture chinoise, le prunus — première plante à refleurir après l’hiver — symbolise la résilience, la résistance à l’adversité, mais aussi la longévité. Ce décor se retrouve notamment sous le règne de l’empereur Kangxi, souverain au règne le plus long de toute l’histoire chinoise, marqué par une prospérité retrouvée après les troubles de la conquête mandchoue, mais aussi par des relations diplomatiques fortes, notamment avec Louis XIV.
En ce qui concerne votre vase, Francis, malheureusement, sans indication de marque sous sa base, il s’agit probablement d’une reproduction d’un modèle de la période Kangxi, réalisée au XIXe siècle. Il est accidenté, ce qui constitue un défaut, mais il reste très décoratif. On peut donc proposer une estimation située autour de 200 à 300 euros. De quoi vous offrir un séjour à Paris pour visiter l’hôtel d’Heidelbach, près du musée Guimet… et vous replonger dans l’ambiance de l’Empire du Milieu.
