Une vierge d’ivoire interdite de vente
Samedi 13 septembre 2025 à 07h
Cette semaine, notre chronique prend une dimension internationale grâce à un amateur d’Outre-Quiévrain. Raphaël est originaire d’Arlon, en Belgique. Il nous soumet une petite Vierge en ivoire. C’est l’occasion pour Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, d’en dire plus sur l’histoire et la valeur de cette œuvre.

D’une facture assez naïve, cette Vierge en ivoire est représentée debout, les mains jointes au niveau de la poitrine. Ses yeux clos témoignent d’un moment de prière, tandis qu’un air doux illumine son visage au front haut. Elle est posée sur un socle carré et noir, dont il est difficile de déterminer le matériau.
L’ivoire est une matière prélevée sur les défenses ou les dents de certains mammifères tels que les éléphants, les hippopotames ou les mammouths, mais aussi sur des animaux marins comme le morse, le narval ou encore le cachalot. Précieuse, cette matière offre un toucher à la fois tendre et résistant. Elle était particulièrement prisée pour la réalisation d’objets destinés aux plus hautes sphères de la société, civile comme religieuses. Son importation coûteuse permettait au commanditaire d’afficher sa richesse et son prestige. On en retrouve ainsi notamment sur le trône de Toutankhamon en Égypte ou sur la statue de Zeus à Olympie. La finesse du travail de l’ivoire fera également la renommée des artisans byzantins puis carolingiens, mais aussi parisiens et pisans à l’époque gothique.
En raison de sa rareté, l’ivoire était utilisé avec parcimonie. Ainsi, les extrémités des défenses étaient exploitées pour fabriquer de petites figurines ou des pièces de jeu. L’un des plus grands centres ivoiriers français se trouvait à Dieppe, ville normande dotée d’un des ports les plus actifs de France. Elle entretenait des échanges réguliers avec les comptoirs commerciaux du golfe de Guinée, permettant aux artisans locaux de se procurer la précieuse matière première. Cependant, le travail de l’ivoire ne se limite pas à l’Europe : il est également pratiqué en Asie, notamment en Chine et au Japon, ainsi qu’en Afrique, autour des actuels Congo, Bénin et Sierra Leone.
Toutefois, en raison de l’exploitation intensive de cette ressource, de nombreuses espèces productrices d’ivoire se sont retrouvées menacées d’extinction. Pour les protéger, la quasi-totalité des pays du monde (183 à ce jour) a signé un accord connu sous le nom de Convention de Washington, adoptée le 3 mars 1973, également appelée convention CITES. Depuis notre article de 2013 à ce sujet, la législation a évolué : il n’est désormais possible de vendre un objet en ivoire que si l’on peut prouver qu’il a été réalisé avant 1947. Il faut alors demander un certificat intracommunautaire auprès de la Direction Régionale de l’Environnement à Orléans.
Concernant la Vierge de Raphaël, il s’agit très probablement d’un travail africain destiné au marché touristique, réalisé au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Sa vente est donc interdite. Si, toutefois, elle devait s’avérer antérieure à 1947, sa valeur serait estimée entre 30 et 40 euros. Une somme vous permettrait de vous offrir un petit cadeau au Salon des Artisans d’Art, qui se tient ce week-end au château de Fretay, et d’y rencontrer des artisans contemporains d’exception, maîtrisant des techniques souvent multiséculaires.
