Un crucifix pour le nouveau Pape
Samedi 10 mai 2025 à 07h
Cette semaine, Marc de Blois soumet un Christ en croix à notre expertise ; l’occasion pour Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, de nous en dire plus sur l’histoire et la valeur de cette œuvre de dévotion.

« Habemus Papam » : voici la célèbre formule prononcée pour annoncer au monde l’élection du 267e pape, en la personne de Robert Prevost, devenu Léon XIV. Nouveau chef de l’Église catholique romaine, il s’assoit sur la chaire de saint Pierre, apôtre du Christ et premier évêque de Rome selon la tradition chrétienne. La tradition apostolique rapporte qu’il serait retourné à Rome à la suite d’une apparition du Christ, évoquée dans l’épisode du Quo Vadis, où celui-ci lui enjoint d’affronter le martyre plutôt que de le fuir. Pierre sera alors condamné à être crucifié ; mais, par humilité, il demanda à l’être la tête en bas, d’où le symbole de la croix inversée dans les cérémonies pontificales.
Il est justement question de dévotion avec l’objet de cette semaine : un crucifix en ivoire. Le Christ incline la tête vers sa gauche, ceint de la couronne d’épines. Le périzonium — sorte de pagne — noué sur la jambe droite, cache sa nudité. Il est crucifié par quatre clous transperçant ses mains et ses pieds. Enfin, il est surmonté des initiales INRI, pour Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum, c’est-à-dire : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs ». Le crucifix est présenté sur un brocard rouge à motifs végétaux, lui-même encadré dans un cadre en bois et stuc doré, légèrement cintré dans sa partie haute, décoré de rinceaux et d’une coquille en fronton.
Ce type de crucifix, destiné à la dévotion privée, pouvait être réalisé en divers matériaux : bois, bronze, os ou encore ivoire. Cette matière, obtenue à partir des défenses d’éléphant ou des dents d’autres grands animaux (comme les hippopotames ou les morses), offrait un support très prisé des sculpteurs en raison de sa couleur, sa durabilité et sa rareté. La sculpture religieuse sur ivoire connaît son apogée au Moyen Âge, avant de décliner, avec quelques réminiscences pendant la période baroque, notamment en Allemagne et dans les Flandres.
Pour leur part, les représentations du Christ ont évolué au fil des siècles en fonction des débats théologiques. Il est donc possible de dater une pièce en observant certains détails : le nombre de clous (trois ou quatre selon les époques), la longueur et l’opacité du périzonium (selon les décisions du Concile de Trente) ou encore l’angle des bras. Dans notre cas, le Christ mourant, la tête tournée vers le ciel, témoigne d’une recherche de naturalisme propre au XVIIe siècle. Il s’agirait donc d’un Christ adoptant le style de cette époque, mais plus probablement réalisé au XVIIIe ou XIXe siècle.
Concernant son estimation, Marc, il convient de rester prudent. En effet, le commerce de l’ivoire est aujourd’hui strictement réglementé, et la vente de votre crucifix nécessite au préalable un certificat CITES. Sous réserve d’obtenir ce document, il serait possible de l’estimer autour de 150 euros. De quoi vous offrir des billets pour un voyage à Rome, en cette année de jubilé dans la Ville Éternelle.
