Des chaussures nationales à glisser sous le sapin
Samedi 21 décembre 2024
Alors que Noël approche, René, de Blois, nous interroge sur des chaussures nationales « jamais portées ». Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, rappelle la petite histoire de cette production pendant la Grande Guerre.

L'envoi de René nous plonge dans une page insolite de notre histoire : celle des chaussures nationales, nées dans un contexte de privations, mais aussi de résilience et d’ingéniosité. Cette paire, achetée par la mère de notre lecteur pour son propre frère, alors prisonnier de guerre, témoigne d’un effort collectif pour traverser une période troublée.
Nous sommes en pleine Première Guerre mondiale. La France, mobilisée sur tous les fronts, doit rationner ses ressources. Le cuir, utilisé pour les besoins militaires, devient rare et cher. Pourtant, il faut continuer à chausser la population civile, durement touchée par la guerre. C’est ainsi qu’en 1917, le gouvernement lance une initiative sans précédent : la création des « chaussures nationales », un modèle standardisé adopté par tous les fabricants du pays.
Fabriquées à partir des surplus de cuir de l’armée, ces chaussures élégantes sont conçues pour être accessibles au plus grand nombre grâce à leur prix réduit. Avec une production atteignant 500 000 paires par mois, elles deviennent l’un des symboles d’une époque difficile, où l’effort collectif primait.
Elles évoquent aussi une autre tradition, celle de déposer des souliers devant le sapin la nuit de Noël : une coutume remontant à Saint Nicolas, figure légendaire du IIIe siècle, qui aurait glissé des pièces dans les chausses que trois fillettes pauvres avaient laissées près de la cheminée. Cette histoire inspira à Coca Cola un personnage publicitaire aujourd’hui bien connu des enfants : le Père Noël ! La fête de Noël, dont l’Église a fixé la date au 25 décembre dès l’an 354, pour contrer les rites païens du solstice d’hiver, est devenue une célébration de la lumière et de l’espérance, marquée par la venue de l’Enfant Jésus. Ces chaussures font écho à ce message : leur histoire est celle d’une sœur qui, en les choisissant, espérait des jours meilleurs pour son frère, captif loin des siens.
D’une grande rareté à l’état neuf, ces chaussures nous rappellent à la fois les difficultés de l’époque et le souci de rester élégant malgré tout. N’ayant jamais été portées, elles mériteraient de figurer dans un musée consacré à la Première Guerre mondiale ou à l’histoire de la mode. Quant à leur valeur, bien qu’aucune vente aux enchères n’en n’ait encore répertorié, une mise à prix autour de 200 € semble être un point de départ raisonnable. Mais leur véritable richesse réside ailleurs : elles racontent une histoire familiale, ponctuée par l’attente, l’espoir et l’amour fraternel. Alors, ensemble, glissons nos souliers au pied du sapin et profitons de ce temps de partage et de retrouvailles en famille pour célébrer la venue de la lumière. Joyeux Noël à tous !
