Une œuvre graphique de Picasso
Samedi 09 mars 2024 à 07h
Cette semaine, Jean-Jacques soumet à notre expertise une œuvre graphique du célèbre Pablo Picasso. C’est l’occasion pour notre commissaire-priseur Aymeric Rouillac de nous en dire plus sur cette création de l’un des plus grands maîtres de la peinture.
Le 12 avril 1961, Youri Gagarine, dont on célébrerait aujourd’hui même le 90e anniversaire, est le premier homme à s’envoler dans le cosmos. Après le satellite Spoutnik et la chienne Laïka, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques réussit ainsi un coup de maitre dans la course à l’espace, dont la nouvelle se répand à travers la planète. A Paris, lorsqu’il l’apprend, Pablo Picasso célèbre l’exploit en réalisant un portrait du héros des temps modernes. En quelques traits à l’encre, le visage de Gagarine portant le sous-casque en cuir de sa combinaison spatiale se détache sur fond de colombe survolant la terre avec, dans son bec, un rameau d’olivier. La réalisation du « camarade Picasso », titrée Youri Gagarine et datée du 16 avril 1961, est publiée le jour même dans le journal l’Humanité. Membre du Parti Communiste depuis 1944, Picasso exprime aussi bien son admiration que son soutien au régime avec cette glorification de la figure du héros national soviétique, qui devient un nouveau modèle à suivre. Le maître commémore également les progrès de son temps, à savoir la paix retrouvée et les avancées de la science.
Cette œuvre est tracée en moins de vingt traits, minimalistes, mais aussi très cadrés dans leur organisation. De fait, chaque ligne est savamment calculée pour construire le dessin global, compréhensible au premier coup d’œil. A ceux qui lui reprochent de dessiner comme un enfant, Picasso répond : « Quand j'étais enfant, je dessinais comme Raphaël, mais il m'a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. ». Il recherche donc à simplifier sa technique pour aboutir à un style épuré, qu’il voit comme une sorte de perfection. Après la Seconde Guerre mondiale, le maître catalan accède à une réputation internationale de tout premier plan et devient l’un des plus grands artistes du XXe siècle. Il sera ainsi le premier à bénéficier de son vivant d’une exposition au musée du Louvre, en 1971. Pour répondre aux attentes de la multitude d’amateurs, son Œuvre est largement diffusé, notamment par le biais de reproductions, affiches, gravures ou lithographies. Une grande partie de ses œuvres est ainsi constituée de multiples de qualité variable, autorisés et contrôlés, ou non, par le maître, et parfois reproduits en tirage limité.
Certains motifs issus de ses recherches connaissent une intense diffusion, telle la célèbre colombe de la paix, initialement réalisée pour le Congrès mondial des partisans de la paix sur demande de son ami, le poète Louis Aragon, en 1949. Même s’il n’était pas particulièrement pacifiste à ses débuts, Picasso devient un fervent défenseur de la Paix. On se souvient qu’il a dénoncé les massacres des populations civiles en peignant la toile géante de Guernica en 1937, pendant la Guerre Civile Espagnole. Par la suite, il réemploie volontiers l’image de la colombe portant un rameau d’olivier dans de nombreux travaux aux traits vifs, souples et limités. Ce symbole de paix est tiré du livre de la Genèse, lorsqu’après le Déluge, une colombe rapporte sur l’arche de Noé un rameau d’olivier indiquant la fin de la terrible inondation qui avait chassé les hommes de la surface de la terre. Picasso appelle ainsi sa fille, née en 1949, Paloma, « colombe » en espagnol.
L’œuvre de notre lecteur est-elle un dessin original réalisé par Picasso en avril 1961 ? Pour le déterminer, il faudrait examiner physiquement l’œuvre, afin de déterminer si elle est de la main du maître. De plus, la date est difficile à lire, elle pourrait correspondre à 16.4 ou à 16.8. En effet, il peut aussi s’agir d’une production ultérieure à la publication dans l’Humanité. En effet, sur l’œuvre d’origine, la date et la signature sont en haut à gauche, alors qu’elles sont à droite sur votre page. De plus des éléments diffèrent : la pupille des yeux, le point au menton et les dimensions des lèvres. Enfin, la légende « Youri Gagarine » n’apparait pas dans l’œuvre publiée alors qu’elle figure sur la votre. Une étude de visu s’impose donc pour trancher ces différents points afin d’en déterminer la valeur. S’il s’agit d’un dessin original, sa valeur peut être de plusieurs milliers d’euros tandis que, s’il s’agit d’une lithographie, sa valeur serait de plusieurs centaines d’euros au minimum. Une somme qui vous permettrait de vous offrir un séjour à Paris pour découvrir le reste de l’histoire de la conquête spatiale à la Cité des Sciences et retracer les jalons de l’exploration de cette frontière infinie par les femmes et les hommes qui s’aventurent dans les cieux étoilés.