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Des fleurs d’été pour fêter Noël

Samedi 30 septembre 2023 à 07h

Une lectrice de Saint Amand Longpré nous adresse la photo d’un grand cadre accroché sur une cheminée de la maison que son fils vient d’acheter. Le bouquet de fleurs est daté du 24 décembre 1965 et signé « Lagrue ». C’est l’occasion pour notre commissaire-priseur Aymeric Rouillac de rappeler le destin extraordinaire de ce peintre qui finit ses jours à Onzain.



Une vingtaine de feuille de papiers assemblées dans un cadre sur lesquelles s’épanouissent des fleurs des champs, peintes avec le cœur, une veille de Noël un couple de papillons et deux anges veillant au pied du bouquet, comme sur l’enfant Jésus, nous font entrer dans l’univers d’un des peintres les plus merveilleux que ce début de XXIe siècle ait eut l’occasion d’accueillir sur les bords de la Loire. Né pendant la drôle de guerre, Jean-Pierre Lagrue (1939-2018) était un danseur du corps de ballet du marquis de Cuevas, décrochant l’étoile avec le ballet de Toulon, se produisant aussi pour la télévision qui est devenu peintre par passion et pour arrondir ses fins de mois l’heure de la retraite venue.

Formé à l’école des Beaux-Arts de Paris, sa peinture était celle de la joie de vivre. Sa touche libre et vivante, ses beaux fonds colorés, des scènes truculentes, racontant l’anniversaire du marin dans une maison close, une visite au musée comme un hommage aux grands maîtres, Sainte Rita la patronne des causes désespéré, des concerts de Bernard Lavilliers ou ses escapades à Belle Ile en Mer, mais surtout ses rues et scènes de vie de Paris qiui sont toujours plébiscitées par les amateurs. François Sagan relevait d’ailleurs que dans son nom « Lagrue » il y avait le mot « rue » ! Il finit sa vie à Onzain, aux cotés de son ami Jean-Louis Dupleix, et nous étions nombreux réunis à Blois pour un dernier Adieu le lendemain de la victoire de la France en coupe du monde de football.

Ce grand dessin de sa jeunesse est des plus émouvant. Il fait suite à « deux années de déveine » que l’artiste a passé sous les drapeaux pendant la guerre en Algérie. Alors qu’il est plongé dans la déprime, l’écrivain Marcel Aymé lui révèle le secret qui guidera le reste de sa vie. Il lui écrit en ainsi : « tu ne dois pas te sentir très à l'aise dans une discipline vraiment très différente de celle de la danse. Efforce toi de n'en pas trop souffrir (...) Apprends à jouer aux dames, à la belote et à t'intéresser à la vie de tes copains cultivateurs ou métallos et à les aimer. La grande habilité, dans la vie, est de préférer les autres à soi-même. »

Invité dans cette maison de la région pour fêter Noël, j’imagine mon ami alors âgé de 26 ans décider de gâter ses hôtes en réalisant le plus grand bouquet de fleurs qui soit, en assemblant patiemment les feuilles blanches du petit carnet de croquis qui ne le quittait pas. Le résultat est spectaculaire : 116 cm de hauteur par 114 cm de large, avec une touche fluide et délayée et le miracle d’un bouquet champêtre au milieu de l’hiver. J’imagine la joie ce soir de Réveillon, et le regard plein de nostalgie que les propriétaires continuaient de poser sur l’œuvre d’art qui était rentrée dans leur vie. Vous comprenez donc que la valeur de ces fleurs est avant tout sentimentale, mais... elles pourraient se négocier entre 50 et 250 € si un collectionneur venait à s’y intéresser. N’oubliez pas le beau conseil de Marcel Aymé : « La grande habilité, dans la vie, est de préférer les autres à soi-même. »
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