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Un pichet allemand volcanique

Samedi 22 juillet 2023 à 07h

Cette semaine, Gilbert soumet à notre expertise un pichet aux couleurs flamboyantes. L’occasion pour Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, de nous en dire plus sur l’histoire et la valeur de cet objet.



« Par la soif, on apprend l’eau ». A l’heure où de fortes chaleurs et les restrictions d’eau s’installent sur l’Europe, cette citation de la grande poétesse américaine Emily Dickinson prend tout son sens. Alors, quitte à étancher sa soif, autant servir de l’eau fraîche dans un récipient qui a du style ! Et cet étonnant pichet que vous nous proposez, Gilbert, nous donne l’occasion de nous pencher sur une petite période de la grande histoire de la céramique. Tuons d’emblée tout suspens, c’est un pichet de production allemande des années 1960. Il est issu des ateliers Ü-Keramik, une entreprise fondée en 1909 à Ransbach, au nord de Coblence. Son fondateur, Johann Übelacker, produit à ses débuts quelques terres cuites et céramiques ornementales. A sa mort en 1955, ses trois fils reprennent l’entreprise familiale et proposent un catalogue plus fourni, avec environ 25 formes de vases et de pichets différentes. Après quelques investissements maladroits, notamment dans la production de céramiques en Irlande, Ü-Keramik est rattrapé par ses créanciers dans les années 1990 et doit définitivement fermer ses portes.

L’entreprise s’inscrit pleinement dans l’évolution mouvementée de la céramique allemande du XXe siècle. A la suite de la Première Guerre mondiale, un renouveau se dessine en Allemagne. Sous l’impulsion de Walter Gropius, le mouvement Bauhaus pointe ses théories nouvelles dans des domaines aussi variés que l’architecture ou l’artisanat, et donc de la céramique. Avec une philosophie inspirée de l’humanisme et une certaine méfiance pour l’ornementation à outrance, l’école allemande connait un grand succès. Celui-ci sera stoppé net par l’arrivée des nazis au pouvoir, le Bauhaus étant qualifié d’ « art dégénéré » par la clique à la croix gammée. Au sortir de la guerre, l’Allemagne est coupée en deux. A l’est, le réalisme soviétique domine. A l’ouest, les céramistes se réapproprient les théories du Bauhaus et exportent leur production vers les États-Unis ou l’Europe occidentale. En France, la concurrence de centres de production tels que Vallauris a limité l’import des céramiques allemandes.

En 2006, suite à une exposition rétrospective londonienne sur la céramique allemande des années 1960, la production est surnommée « Fat Lava ». Cette dénomination fait référence à l’apparence de ces céramiques, aux rouges et orangés éclatants jurant avec d’autres parties plus texturées de l’objet et rappelant la roche volcanique et la lave en fusion. Bien que légèrement moqueuse, cette appellation est finalement restée. Pour obtenir cet effet, des glaçages successifs et importants sont apposés sur la céramique. On ajoute également certains produits chimiques, notamment le sélénium, essentiel dans l’obtention des rouges, mais qui peut être hautement toxique à trop forte dose. Les années 1970 verront le déclin de la mode « Fat Lava ».

Votre pichet, Gilbert, possède le numéro 1808/20 sous la base, qui nous a permis d’identifier le producteur et le modèle. Les créations de Ü-Keramik ne sont pas rares, surtout après la reprise des ateliers par les fils de Johann Übelacker dans les années 1950. Votre objet est cependant en excellent état et ses couleurs chaleureuses sauront attirer les collectionneurs et les amateurs des arts décoratifs des années 1960. C’est pourquoi ce pichet Ü-Keramik pourrait trouver preneur aux enchères aux alentours de 20 euros. Suffisant pour s’offrir une bouteille de riesling de la vallée du Rhin. Prost !
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