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Un dessin d’Oudry préempté par le musée de Fontainebleau

Lundi 17 juillet 2023

La Gazette Drouot, Claire Papon

Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), Cerf aux abois dans les rochers de Franchard, forêt de Fontainebleau, 1733, plume et encre de Chine, lavis gris avec rehauts de gouache blanche sur papier anciennement bleu, 32,5 x 55,5 cm.
Dimanche 4 juin, Montbazon, château d’Artigny. Rouillac OVV. Cabinet de Bayser.
Adjugé : 124 000 €. Préemption du château de Fontainebleau

Qui va à la chasse… gagne sa place au château ! Le 4 juin dernier, l’établissement public bellifontain préemptait un dessin de Jean-Baptiste Oudry, préparatoire à l’un des cartons du grand oeuvre de l'artiste.


Une opportunité comme celle-là ne se présente pas tous les jours… Il ne fallait pas la manquer ! Oriane Beaufils, conservatrice du patrimoine en charge des peintures au château de Fontainebleau, ne cache pas sa joie d’avoir pu enrichir les collections de ce grand et beau modello figurant un Cerf aux abois dans les rochers de Franchard en forêt de Fontainebleau. «J’ai suivi la vente en direct. Quand on préempte, on préfère être sur place pour sécuriser le bébé», précise la jeune femme. Acquis grâce au soutien indéfectible des Amis du musée, à la participation du ministère de la Culture et du château lui-même, ce dessin est le premier de cet ensemble des « Chasses royales » de Jean-Baptiste Oudry à rejoindre les collections de l’établissement. «Il en existe beaucoup d’autres, mais nous n’en avions pas. L’intérêt de celui-ci est qu’il s’agit de la première pensée pour le carton figurant la forêt de Fontainebleau qui est en cours de restauration au château.» Conservée dans la collection du Danois vivant à Paris Bruun-Neergaard (1776-1824), passée sous le marteau de Me Rheims à la galerie Charpentier le 7 juin 1955 et demeurée depuis en mains privées, cette feuille est publiée dans l’ouvrage de Hal Opperman consacré au peintre paru en 1977. Le roi est au centre de la scène, l’animal cerné étant acculé contre les rochers, tandis qu'au sommet un chien vole littéralement dans les airs. Les astres s’alignaient décidément parfaitement, le château de Fontainebleau organisant pour l’automne 2024 une exposition consacrée à Jean-Baptiste Oudry et à la cynégétique. Notre cerf aux abois y aura donc toute sa place, une fois débarrassé de ses quelques piqûres et de ses traces d’insolation. D’ici là, patience…

De Compiègne au palais Pitti

Centrée sur la tenture commandée par Louis XV, l’exposition réunira des portraits de chiens de la meute royale, quatre des neuf tapisseries tissées aux Gobelins conservées au palais Pitti à Florence et leurs cartons en cours de restauration à Fontainebleau, des œuvres issues de collections publiques et privées. «On essaie de réunir le maximum de matériel préparatoire à la peinture, car ce sera une occasion unique de montrer le processus créatif de Oudry», explique la conservatrice. Fera également le voyage jusqu’en Seine-et-Marne l’esquisse à l’huile de notre dessin, acquise en 2002 par le musée des Arts décoratifs de Paris et déposée au musée Nissim de Camondo. Elle est la seule à pouvoir quitter celui-ci, les huit autres de la série ne pouvant être prêtées, aux termes du legs qui lui a été consenti en 1921. Deux suites de la tenture des « Chasses royales de Louis XV » ont été tissées simultanément aux Gobelins, l’une dans l’atelier de Mathieu Monmerqué, l’autre dans celui de Claude III Audran. La première est placée au château de Compiègne, la seconde est vendue à l’infant Don Philippe, duc de Parme, en 1749, puis envoyée au palais Pitti entre 1860 et 1870. L’exécution de l’ensemble issu de l’atelier de Monmerqué est de qualité inférieure, les couleurs s’étant assombries et altérées quelques années seulement après son achèvement.

La tenture « des Chasses royales » et ses neuf tapisseries occuperont Oudry de 1733 à 1746.
L’exposition à Fontainebleau permettra de comparer… Elle sera aussi l’occasion pour le public d’admirer Louis XV chassant le cerf dans la forêt de Saint Germain, 1730, morceau de choix célèbre durant tout le XVIIIe siècle, où il fut exposé à Marly, et conservé aujourd’hui au musée des Augustins de Toulouse. Né à Paris d’un père peintre, formé dans l’atelier de Nicolas de Largillière à partir de 1705, Jean-Baptiste Oudry exécute nombre de portraits dans ses premières années d'activité, comme son maître, même si celui-ci lui aurait pourtant conseillé de se consacrer exclusivement à la peinture des animaux et des fruits. En 1717, il est nommé professeur à l’académie de Saint-Luc et agréé à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Sa carrière est lancée. Les commandes de mécènes et d’amateurs – parmi lesquels Louis Fagon, intendant des Finances, et les ducs de Mecklembourg-Schwerin – se multiplient. En 1724, ce sont celles du roi. Deux ans plus tard, il est nommé peintre de la Manufacture royale de tapisserie de Beauvais. En janvier 1728, il lui est ordonné de suivre les chasses royales et de présenter des esquisses dont l’une sera retenue pour être portée sur toile. Ce sera la grande composition de Marly, terminée en 1730, genèse de la tenture des « Chasses royales », qui l’occupera pendant de longues années – de 1733 à 1746 – et lui apportera des revenus considérables (52 000 livres pour les seuls cartons).

En pleine action

Oudry accompagne Louis XV courir le cerf, le loup ou le sanglier dans les futaies de Saint-Germain-en-Laye, Fontainebleau et Compiègne, endroit favori du roi pour la chasse. Il croque le souverain dans différentes attitudes, les chevaux, les chiens, les valets et les veneurs en pleine action, le gibier, les paysages emblématiques. Il n’est pas rare qu’on lui envoie des animaux morts quand il n’a pu être sur place. Il doit alors en faire le portrait aussi exactement et rapidement que possible, du fait de la décomposition. La commande des « Chasses royales » concerne d’abord trois scènes, avant de devenir une réalisation beaucoup plus ambitieuse de neuf tapisseries dépeignant Sa Majesté s’adonnant à son sport favori, destinées à décorer ses appartements privés et le cabinet du Conseil du château de Compiègne. Huit cartons – soit des compositions à l’huile et vernies – sont conservés à Fontainebleau depuis le XIXe siècle, le neuvième, La Curée du cerf dans la forêt de Saint-Germain à la vue de l’abbaye de Poissy, très abîmé, se trouvant dans les réserves du musée du Louvre. Quelque peu oubliées –notamment en raison de leurs grandes dimensions –, les tapisseries de cette série ainsi que les dessins, les esquisses et les cartons seront bientôt tirés de l’oubli lors de l’exposition à la « maison des siècles »…
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