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Gai comme un Pinson

Samedi 08 juillet 2023 à 07h

Cette semaine, Richard et Catherine, de Vendôme, nous interrogent sur une singulière plaque gravée signée Pinson. L’occasion pour Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, de nous en dire plus sur l’histoire et la valeur de cet objet.



Charles-Émile Pinson nait en 1906 à Paris. Formé à la prestigieuse école Estienne puis à l’École nationale supérieure des Beaux-arts, Pinson met pendant quelques années ses talents au service de la Banque de France où il exécute les gravures pour les billets. L’année 1928 marque déjà un tournant dans la jeune carrière de Pinson, puisque sa version en taille douce de Salammbô emporte le premier prix de Rome, ainsi que le prix de la fondation Florence Blumenthal. En 1933, Charles-Émile Pinson s’installe en résidence à la villa Médicis à Rome. En 1936, nouveau tournant dans sa carrière : il s’envole de l’autre côté de l’Atlantique, où la France lui commande la décoration du bureau de l’Ambassadeur au Canada. Les murs de l’office sont alors ornés des grands thèmes de la découvertes du Canada telles que l’arrivée des vikings, le voyage de Jacques Cartier, ou encore les relations avec les Amérindiens. L’éloignement avec l’Europe ne dure pas, car suite à l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie, les forces vives de la Nation sont appelées sous les drapeaux, et Pinson rentre au pays. Il est fait prisonnier suite à la débâcle de l’armée française, mais a accès à du matériel de peinture dans son camp de Prusse-Orientale. En 1943, après avoir été rapatrié à cause de son état de santé, Pinson crée un recueil de gravures « Prisonniers, mes frères », en hommage à ses camarades de misère.

La guerre sera décidemment une étape importante dans la vie de l’artiste puisque de la Libération à sa mort en 1963, Charles-Émile Pinson multipliera les projets pour des bâtiments détruits ou endommagés par les années terribles du conflit. On peut citer ses réalisations sur la façade de la Chambre de Commerce de Caen, ou l’église Saint-Firmin de May-sur-Orne, édifice nouveau qui remplace celui détruit par les combats. Pinson crée dans un style Art Déco tardif, que l’on surnomme Style 1940. Cette variante prend son essor dès l’exposition universelle de 1937, où elle prend le contre-pied des lignes sages et douces de l’Art Déco, auquel il est parfois reproché son manque d’onirisme. Si les façades reprennent l’aspect monumental des années 1930, l’influence des surréalistes et un certain retour au baroque tranchent avec le classicisme d’avant-guerre.

Votre plaque, chers Richard et Catherine, est d’après votre description, en pierre. Elle mesure 120 par 103 cm. La scène est assez difficile à identifier, mais l’attitude déférente des personnages au premier plan et leurs habits à l’antique laissent envisager qu’il puisse s’agir d’une scène religieuse, peut-être l’Adoration des Bergers. Pinson ayant réalisé de nombreux décors d’églises, il n’est pas impossible que cette grande gravure soit un travail préparatoire à l’échelle. En tout cas, il y a bien la signature de Pinson ainsi que la date 1947 en bas à droite de l’œuvre. Cette grande gravure est étonnante, elle présente un intérêt artistique et historique non négligeable. C’est pourquoi elle pourrait trouver amateur aux enchères pour environ 200 euros. Si vous profitez de l’été pour visiter la Normandie, ayez une pensée pour Charles-Émile Pinson, le prisonnier de guerre qui a contribué de toute son âme et de son talent à reconstruire un pays si meurtri.
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