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Un dessin de Jean-Baptiste Oudry pour le château de Fontainebleau

Lundi 05 juin 2023

La Tribune de L'Art, Alexandre Lafore

1. Jean-Baptiste Oudry (1686-1755)
Cerf aux abois dans les rochers de Franchard en forêt de Fontainebleau, 1733
Plume et encre de Chine, lavis gris avec des rehauts de gouache blanche sur papier anciennement bleu - 32,5 x 55,5 cm
Préempté par le château de Fontainebleau
Photo : Rouillac
2. Jean-Baptiste Oudry (1686-1755)
Le Cerf qui tient aux chiens sur les rochers de Franchard, 1737
Huile sur toile - 46,5 x 96 cm
Paris, Musée Nissim de Camondo
Photo : MAD Paris
3. Jean-Baptiste Oudry (1686-1755)
Cerf aux abois dans les rochers de Franchard en forêt de Fontainebleau, 1738
Huile sur toile - 367 x 661 cm
Fontainebleau, Musée national du château
Photo : RMN-GP/G. Blot
7. Jean-Baptiste Oudry (1686-1755)
Rendez-vous au carrefour du Puits du Roi, vers 1733
Plume et lavis brun, rehauts de blanc sur papier autrefois bleu - 21,3 x 52,2 cm
New York, The Morgan Library & Museum
Photo : The Morgan Library & Museum
8. Nicolas Pierre Pithou le Jeune (1750-1818) d’après Jean-Baptiste Oudry (1686-1755)
Le Cerf aux abois dans les rochers de Franchard en forêt de Fontainebleau, 1780
Porcelaine tendre et bois doré - 40 x 47 cm
Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et Trianon
Photo : RMN-GP/J.-M. Manaï
Lire l'article sur le site de La Tribune de L'Art

Acquisition - Fontainebleau, Musée national du château - Une excellente nouvelle est venue ensoleiller la troisième journée du Festival de l’histoire de l’art : alors que celui-ci vivait ses dernières heures, le château de Fontainebleau avait dépêché une émissaire à la vente organisée par Philippe et Aymeric Rouillac au château d’Artigny afin d’y préempter un séduisant dessin (ill. 1) de Jean-Baptiste Oudry. Signée et datée de l’année 1733, cette feuille adjugée 100 000 € marteau constitue certainement une première pensée pour l’un des cartons préparatoires de la Tenture des Chasses royales, véritable « chenil sur toile », comme l’écrivit Oriane Beaufils - qui veille avec soin sur les peintures comme les dessins du château de Fontainebleau - dans un essai du catalogue de l’exposition « Les animaux du roi » organisée à l’hiver 2021-2022 par le château de Versailles (voir l’article).


Ce grand et beau dessin sur papier - naguère - bleu n’avait été publié que par Hal Opperman en 1977 et possède un prestigieux pedigree puisqu’il provient de la collection de Tønnes Christian Bruun-Neergaard (1776-1824), amateur danois qui passa l’essentiel de sa vie à Paris, amassant aussi bien des minéraux que des tableaux et des dessins dont il dut se séparer en août 1814 lors d’une vente où cette feuille figurait sous le numéro 286, comme le précise la notice rédigée par les experts du cabinet De Bayser. Repassé aux enchères sous le marteau de Maurice Rheims en juin 1955 à Paris, le dessin resta ensuite conservé en collection particulière. Immédiatement reconnaissable, le site représenté dans cette scène de chasse est toujours apprécié des randonneurs qui se promènent à travers la forêt de Fontainebleau : nous sommes dans les gorges de Franchard, une lande animée de grandes éminences rocheuses particulièrement spectaculaires.

C’est justement contre ces rochers que le cerf poursuivi par l’équipage est acculé, la scène immortalisée sur le dessin se retrouvant dans l’esquisse (ill. 2) où l’essentiel de la composition est conservé. Huit esquisses préparatoires aux grands cartons de tapisserie furent acquises par le comte Moïse de Camondo en 1921 et sont conservées dans son ancien hôtel particulier donnant sur le parc Monceau mais la neuvième, séparée du reste de la série au cours du XIXe siècle, dut attendre 2002 pour rejoindre l’ensemble. Cette arrivée tardive lui permet d’échapper aux clauses strictes du testament du collectionneur et donc d’être prêtée, comme ce fut récemment le cas lors de l’exposition que le château de Versailles consacra voici tout juste quelques mois aux goûts et aux passions du roi Louis XV (voir l’article).

Le dessin et l’esquisse pourront donc rejoindre le grand carton (ill. 3) à l’automne 2024, le château de Fontainebleau préparant une exposition très attendue intitulée « Peintre de Courre : Jean-Baptiste Oudry et les chasses de Louis XV ». Réunissant tapisseries et études préparatoires, celle-ci permettra au public de se plonger au cœur de l’un des plus importants chantiers artistique du XVIIIe siècle, l’exécution de la Tenture des Chasses royales qui s’étala sur plus de dix ans ! L’artiste commença par suivre le roi à la chasse, croquant sur le motif animaux et paysages emblématiques des giboyeuses forêts royales, avant de réaliser différentes études à l’huile. La confrontation du dessin, de l’esquisse, du carton et - on l’espère - de la tapisserie permettra de suivre les quelques changements apportés par Oudry.

Celui-ci a naturellement placé le souverain au centre de la scène (ill. 4), au-dessus du rocher où il apposa sa signature et la date de l’année 1733. A l’arrière-plan, bien éclairé à l’aide d’habiles rehauts de blanc, l’animal cerné par les chiens est acculé contre les rochers : nous sommes proches de l’hallali. Particulièrement soignée, cette grande feuille servit certainement de dessin de présentation. Le cheval du roi est aussi élégamment rehaussé de blanc et l’effet de masse des cavaliers encerclant l’escarpement rocheux occupe subtilement tout l’espace de la composition. Celle-ci évolua cependant, comme le montre la comparaison avec l’esquisse et le carton : Oudry inversa notamment l’orientation du groupe des cavaliers et ajouta les ruines de l’ermitage médiéval de Franchard sur la droite. Détruit au cours de la Guerre de Cent Ans, celui-ci était devenu un repaire de brigands et un arrêt du Conseil du Roi avait ordonné sa démolition en février 1717. Tout au sommet, le chien qui vole littéralement dans les airs - victime du cerf ou d’une chute depuis le haut du rocher - disparaît de l’esquisse comme du carton.

La modification la plus savoureuse reste cependant l’ajout d’un nouveau personnage en bas à droite de la composition : Oudry s’est en effet représenté lui-même (ill. 5) en train de dessiner la chasse, à peu près à l’aplomb des ruines médiévales. Fixant le spectateur, son visage débonnaire est plutôt bien conservé tandis que le reste de l’angle de la toile a hélas beaucoup plus souffert. Le château de Fontainebleau a lancé en 2021 une importante campagne de restauration de la série des cartons peints, victimes des aléas de l’histoire. Alors qu’ils semblent faire corps avec le bâtiment, comme l’écrivit joliment Vincent Droguet en 2003, ceux-ci ne sont conservés au château que depuis le XIXe siècle : entré en 1828, sous le règne de Charles X, le carton pour le Cerf aux abois dans les rochers de Franchard en forêt de Fontainebleau ne fut enchâssé qu’en 1835 dans les boiseries des pièces qui portent désormais le nom d’appartement des Chasses. Comme nous l’expliquions le mois dernier (voir la brève du 16/3/23), certains de ces cartons sont actuellement en cours de restauration en amont de l’exposition de 2024 tandis que d’autres devront attendre quelques années de plus : les mécènes intéressés par ce beau projet peuvent se renseigner depuis cette page.

Quelque peu oubliés à cause de leur emplacement historique, placé en cul-de-sac dans l’actuel circuit de visite libre et donc souvent fermé au public, ceux-ci ne devraient pas manquer de révéler de beaux morceaux de peinture (ill. 6) : Oudry réalisa ici quelques-uns des tableaux les plus réussis de sa longue carrière, certainement préparés par de nombreux dessins dont pourtant peu subsistent. La chronologie précise du projet reste encore quelque peu confuse, comme en témoignent les années séparant ce dessin daté de 1733 et le carton présenté au roi le 1er juin 1738, avant d’être exposé au Salon sous le numéro 96. De leur côté, les tapisseries - destinées à l’appartement de Louis XV au château de Compiègne - furent tissées à partir de 1735 à la Manufacture des Gobelins. Un grand dessin, conservé au département des Arts graphiques du Musée du Louvre, est aisément relié à la genèse du projet même s’il ne fut pas directement repris dans les esquisses ou les cartons. Citons également la feuille de la Morgan Library, précisément située en foret de Compiègne (ill. 7) et préparant le premier carton de la série.

Ces tableaux de chiens et de chasse furent remis à l’honneur à l’occasion d’une première exposition intitulée « Animaux d’Oudry », qui eut lieu simultanément à Versailles et à Fontainebleau à l’hiver 2003-2004, puis avec l’ouverture de l’appartement des Chasses pour l’exposition « Louis XV à Fontainebleau » au printemps 2016 (voir l’article) mais la célèbre meute royale fut surtout enrichie spectaculairement d’un nouveau « portrait de chiens » à l’automne 2020 avec l’acquisition de Cadet et Hermine auprès des héritiers du comte Robert de Moustier (voir la brève du 16/8/20). Ce savoureux tableau fut présenté un an plus tard dans un accrochage intitulé « Cave canem » qui tenait lieu de prélude à l’exposition de 2024.

Louis XVI hérita de la passion de son grand-père pour l’art cynégétique et commanda à sa Manufacture de Sèvres neuf plaques de porcelaines tendres pour son appartement intérieur de Versailles reprenant fidèlement les cartons de la Tenture des Chasses royales ! N’ayant jamais quitté les collections nationales malgré les aléas de l’histoire, celles-ci ont pu regagner Versailles grâce à Pierre de Nolhac mais c’est bien le visage du dernier souverain de l’Ancien Régime que l’on reconnaît dessus. Parfaitement documentées grâce à un riche article publié par Marie-Laure de Rochebrune dans Versalia, celles-ci comprennent bien sûr l’épisode des rochers de Franchard (ill. 8) mais sans l’attachant autoportrait de Jean-Baptiste Oudry. L’avenir nous dira si elles feront le déplacement jusqu’à Fontainebleau l’année prochaine, où l’on se réjouit déjà de pouvoir admirer quelques pièces du second tissage de la tenture - conservé en Italie - tandis que les tapisseries destinées à Compiègne ne quitteront pas cette autre importante résidence de chasse. Trop peu connu pour ses collections graphiques, Fontainebleau a de son côté entrepris de remettre à l’honneur celles-ci dans une exposition prévue pour l’automne 2023 et intitulée « Portraits d’un château », en attendant l’ouverture d’un véritable cabinet d’arts graphiques qui manque encore à la « maison des siècles ».
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