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Kazuo Shiraga, un corps-à-corps avec la peinture

Vendredi 19 mai 2023

La Gazette Drouot, Christophe Provot

Inédite, cette toile du maître Gutaï peinte en 1962 est une peinture-performance, un corps-à-corps avec la couleur.

On ne sait vraiment où poser le regard sur cette œuvre aux aplats de couleurs se trouvant soudainement interrompus, comme lacérés par une accumulation de matière. La peinture s’agite et se tord dans un élan sauvage, et semble encore tout imprégnée de la violence et de la puissance brute qui l’ont plaquée sur la toile. «Je veux peindre comme si je me précipitais sur un champ de bataille, jusqu’à m’effondrer d’épuisement», a dit un jour Kazuo Shiraga. T. 34 (No 50) résume parfaitement ce propos. La couleur pure et vociférante se livre aussi à un combat, donnant lieu à des éclaboussures et giclures multiples, que complètent de larges traînées et coulées. L’art de Shiraga tient autant de la calligraphie extrême-orientale que de l’expressionnisme abstrait. Il le surpasse même, sa peinture, exécutée avec les pieds en se balançant à l’aide d’une corde suspendue, confrontant le spectateur à une force singulière, supérieure à celles des œuvres les plus gestuelles. En fusionnant le corps et la matière en une synthèse presque cathartique, le maître Gutaï s’est démarqué de la simple gestualité de Jackson Pollock et d’autres expressionnistes abstraits occidentaux, et a ainsi forgé une œuvre révolutionnaire qui a fait date dans l’histoire de l’art contemporain.

1962, année de la création de notre toile, est une étape charnière pour Shiraga, qui voit sa carrière internationale prendre enfin son envol. La galerie Stadler accueille à Paris sa première exposition personnelle hors du Japon – une autre, collective, ayant eu lieu en 1959 –, après qu’il fut découvert par le critique d’art Michel Tapié à Osaka en 1957. Cette toile en fit d’ailleurs certainement partie. Si la plupart de ses œuvres sont dépourvues de titre, à l’exception de celles nommées d’après les cent huit bandits du roman du XIVe siècle issu de la tradition chinoise Au bord de l’eau – série qu’il réalisa de 1959 à 2001 –, la nôtre appartient à un rare ensemble de quatorze toiles intitulées avec la lettre «T». Cette dernière pourrait aussi bien être l’initiale du mot «travail» (en japonais sakuhin) que celle du patronyme de son ami Tapié. Toutes, sauf une, furent réalisées cette même année. En 1990, l’œuvre fut acquise pour 50 000 francs auprès de l’éditeur Jean-Claude Livet par un industriel du secteur médical, qui pensait que le peintre utilisait ses pieds car il était handicapé des mains ! Une bonne action aujourd’hui récompensée par une solide estimation. Une fois n’est pas coutume, renversons l’adage : bien correctement acquis finit toujours par profiter !

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Dimanche 04 Juin 2023 - 14:00 (CEST) - Live
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Rouillac
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