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Un arpenteur bien au niveau

Samedi 16 avril 2016

Cette semaine, Alain fait appel à Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, afin qu’il l’aide à identifier un « instrument fabriqué par la société Morin ».

Nous voici face à un objet énigmatique que nous avions laissé de côté pendant des mois, faute de pouvoir l’identifier d’emblée. C’est désormais chose faite, ils’agit d’un niveau d’eau d’arpentage. Quèsaco ? En métal chromé ou nickelé, déployé, remonté, il mesure environ un mètre de longueur et se compose de deux tubes s’assemblant sur un axe pivotant. Ces derniers sont terminés par une coudée qui accueille un réceptacle destiné à maintenir une petite bouteille.Pour tenir debout, il doit être posé sur un trépied. Démontable, il se range dans une large boîte rectangulaire en bois. Sur la partie centrale, on peut lire la signature du fabricant : « H. Morin 11 rue Dulong,Paris ». Objet d’art ? Certainement pas. Il date vraisemblablement de la seconde moitié du XIXe siècle. À cette époque, Marcel Duchamp n’avait pas encore hissé des objets quotidiens, tel le célèbre urinoir, en œuvres d’art. C’est donc un objet utilitaire, un instrument de travail qui a pour but de déterminer la différence de hauteur entre deux points donnés. Tâchons d’en expliciter le principe. Nous devons remplir à moitié d’eau colorée les deux réservoirs en verre situés aux extrémités du bras. Puis nous plaçons notre niveau d’eau, sur son trépied, entre les deux points dont nous souhaitons mesurer la différence de hauteur. Ces derniers sont matérialisés par une mire plantée dans le sol. Une mire est une règle graduée comportant une plaque (le voyant) que l’on peut déplacer verticalement. Les deux niveaux d’eau étant stabilisés sur un même plan, on peut maintenant viser chaque mire. Pour cela, on déplace les voyants pour que la « ligne » imaginaire parfaitement horizontale passant au ras de chaque niveau d’eau tombe en leur centre. Il ne reste plus qu’à mesurer la différence de hauteur entre les règles, cette différence exprimant la différence de hauteur entre les deux points. Aujourd’hui, nos arpenteurs-géomètres n’ont plus l’angoisse de casser leurs réservoirs en verre. Ils utilisent des appareils à visée laser, mais seulement lorsqu’un satellite n’a pas déjà fait le boulot… !

L’objet d’Alain fait partie de la grande famille dite des instruments scientifiques. Ils suscitent l’intérêt d’amateurs avertis ou d’institutions lorsque leur importance historique et leur rareté est grande. Lorsqu’ils sont de marine, ils séduisent souvent antiquaires spécialisés et collectionneurs, et sont pour la plupart destinés à embellir une maison bretonne ou normande.

L’objet de notre lecteur ne rentre dans aucune de ces deux catégories. En revanche, un particulier ou un décorateur peut lui trouver une place dans un cabinet de curiosités. Les niveaux d’eau d’arpentage les plus esthétiques sont en laiton et se négocient entre 100 et 150 euros. Ce n’est malheureusement pas le cas de celui de notre lecteur qui, de plus, est dépourvu de trépied. S’il est en bon état, il devrait faire le bonheur de celui qui en offrira entre 50 et 80 euros.
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