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Invitation au voyage

Samedi 16 juillet 2022 à 07h

par Aymeric et Philippe Rouillac

Cette semaine, Laurent nous propose une toile estivale signée Decroix, représentant des cargos. C’est l’occasion pour Aymeric et Philippe Rouillac, nos commissaires-priseurs, d’en dire plus sur sa valeur.

Deux cargos rouge et noir sont à l’amarre devant un petit port dont les rangées de maisons sont surmontées d’une tour, peut-être un phare ou une église. On aperçoit au second plan un chenal qui rejoint la mer. La majorité de l’espace est occupée par un ciel bleu qui se reflète par endroits dans la mer, comme une ode à cet été qui débute dans la chaleur. La peinture est appliquée à grands aplats de couleurs, illuminant la toile de lumière et de variations subtiles. Cette peinture a probablement été réalisée dans les années 1920 ou 1930, s’inscrivant dans la lignée des peintres voyageurs, tel Delacroix en Afrique du Nord ou Cassas au Levant. Depuis le début du XIXe siècle, l’amélioration des routes maritimes entre l’Europe et l’Orient, fait des pays du Maghreb et du Proche-Orient une source intarissable d’inspiration pour les peintres orientalistes. Partant des ports méridionaux, ils arpentent les rivages lumineux de la mer Méditerranée, ramenant de leurs pérégrinations de nombreux souvenirs et toiles. Le mouvement s’étire jusqu’au XXe siècle, où la lumière de l’Orient continue d’inspirer les artistes. On pense à Matisse ou à Picasso réinterprétant les Femmes d’Alger, comme à Paul Klee qui découvre l’abstraction dans les jardins tunisiens. Mais c’est au dessinateur Hergé que le sujet de ces deux cargos nous fait penser. Comme ne pas y reconnaitre le célèbre Karaboudjan, navire sur lequel le reporter du petit XXème fit, pour la première fois, la rencontre du sympathique capitaine Haddock ? Regardez au travers du bastingage, il semble que Tintin s’apprête à partir pour une nouvelle aventure… avant de revenir se reposer dans son Moulinsart/Cheverny.

La signature de Decroix sur cette toile rappelle évidement le patronyme de Delacroix, le célèbre peintre orientaliste. Toutefois, il est difficile de l’attribuer avec précision. Il pourrait s’agir de George Lorin, qui utilisera Decroix comme pseudonyme parmi d’autres. Actif au début du XXe siècle, il est réputé pour ses illustrations et ses toiles, mais aussi pour ses paysages d’Orient où il s’est vraisemblablement rendu en cargo ! Bien que non identifié, ce port pourrait être celui de Sète. Le chenal à l’arrière-plan ressemble en effet à celui qui relie la mer à l’étang de Thau. Véritable ouverture sur la Grande Bleue, Sète a autant inspiré les peintres que les poètes. Paul Valery, originaire de la cité y est enterré dans son cimetière marin, auquel il dédie un long poème émouvant, auquel rendra à son tour hommage George Brassens.

La toile de Laurent une œuvre de qualité, à la composition équilibrée et dont les couleurs ont conservé leur éclat. Le sujet marin et l’approche orientaliste attire les amateurs, bien qu’un accident en haut à droite du ciel soit à signaler. C’est pourquoi elle pourrait trouver preneur entre 100 et 300 €. Elle nous permet de conclure la saison de cette rubrique « Que valent vos trésors ? » avec des vers de Baudelaire en vous souhaitant, chers lecteurs, de belles vacances ensoleillées et le plaisir de vous retrouver à la rentrée pour de nouveaux trésors : « Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l’humeur est vagabonde ; C’est pour assouvir Ton moindre désir Qu’ils viennent du bout du monde. » !
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