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Un voile académique qui dévoile !

Samedi 22 janvier 2022 à 07h

Cette semaine Alain, à Vineuil, nous envoie la photographie d’une demoiselle en bronze de 37 cm de haut. Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, lui fait part de son avis.



Alors que le froid de l’hiver s’installe, les maisons se réchauffent et les plus chanceux d’entre nous se nichent autour d’un feu de cheminée… Réconfortantes, fascinantes, ces flammes ont toujours hypnotisé l’homme… Mais vous, cher lecteur, ne seriez-vous pas plutôt hypnotisé par celle que vous appelez « la demoiselle à la lampe à huile » ? Rien de moins anormal, car cette jeune femme est peut-être la représentation de Vesta : la déesse romaine du feu sacré qui brûle dans tous les foyers et les temples !

On identifie en effet dans ce bronze la figure d’une jeune femme vêtue à l’antique tenant une lampe à huile. Elle est assise, alanguie, sur un siège curule au délicat piétement en forme de sabot de biche. Son bassin est désaxé de ses épaules, ce qui donne une formidable sensation de mouvement à la sculpture. Mais, cher Vineuillois, le morceau de bravoure de votre trésor repose dans le traitement de sa fine toge romaine. Regardez comment l’artiste sculpte délicatement ses plis avec des effets de drapés, tel un linge mouillé, qui colle par endroit à la peau. L’artiste voile le corps de cette femme… pour mieux le dévoiler !

Mais qui est cet artiste ? Le premier réflexe d’un commissaire-priseur est de sortir sa loupe et de chercher une marque, une griffe, une signature ! Là pas besoin de loupe, fier de son œuvre, son créateur a signé en très gros : « Auguste Joseph Peiffer ». Né à Paris en 1832 et mort dans la même ville en 1879, Peiffer est un sculpteur que l’on qualifie d’« académique ». Plutôt que de basculer dans le romantisme qui triomphe lors de sa naissance, il se range du côté du goût hiérarchisé par l’Académie royale de peinture et de sculpture depuis 1648, privilégiant les scènes d’histoire, puis les portraits, poursuit avec les scènes de genre qu’elle classe devant les paysages, conférant la dernière place aux natures mortes. Sous le second Empire de Napoléon III, les élections sont un sujet qui anime moins les débats qu’aujourd’hui… On se range derrière le gout officiel du régime. Votre sculpture mythologique, tirée de l’histoire romaine, reprend ainsi le grand thème Historique jugé digne d’être sculptés ou peints.

Mais attention, la représentation trop exaltée, baroque de la nudité peut aussi choquer les esprits à cette époque. Un autre sculpteur de cette époque, Jean-Baptiste Carpeaux, réalise en 1869 un groupe nu enivré pour la façade de l’Opéra Garnier qu’il intitule La Danse. La sculpture est tant décriée qu’elle finit par être vandalisé par les parisiens !

Fort heureusement pour vous, l’Académie des Beaux-Arts fondée en 1816 qui perpétue le goût français ne censurera pas votre jeune romaine en bronze… sans que je sois certain qu’elle en fasse aujourd’hui la promotion. Tiré à de nombreux exemplaires, ce beau bronze s’inscrit dans une production de petits bronzes encore plus abondante, justifiant une estimation autour de 800 euros… suffisamment pour aller visiter le temple de Vesta à Rome ?
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