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Des sièges de "cérémonie" en Bordelais, c. 1740-1750

Mardi 05 janvier 2021

par Xavier de Clerval, expert

La Lecture de Molière par de Troy
À dossiers plats, spécialement larges, très profonds et bien sculptés avec un décor en grenade éclatée, ces sièges « sur mesure » sont attribuables au menuisier parisien Michel Cresson, reçu maître en 1740. Cette commande hors norme, sans équivalent dans les collections privées et publiques comme dans les ouvrages de références, est une découverte des arts décoratifs du XVIIIe. Des numéros inscrits au-dessus des ceintures à l’encre indiquent qu’ils formaient un rang d’au moins cinq pièces. Le fauteuil numéro 1 qui dispose d’un accotoir à droite ouvre le banc. Le fauteuil numéro 2 qui dispose d’un accotoir à gauche ferme le banc. La chaise étant numéroté 5, située au centre, indique qu’il manquerait au moins deux autres chaises (n°3 et 4).

Les sièges à accotoirs en retrait sont alors pensés et fabriqués pour le confort des femmes vêtues de robes à panier, afin qu’elles puissent s’assoir aisément. "La Lecture dans un salon", dit aussi "La Lecture de Molière" par Jean-François de Troy (collection particulière, Royaume Uni) représente ainsi des femmes assises dans de très larges fauteuils à assises basses et aux accotoirs en retrait comme les nôtres, leurs robes amples recouvrant les barres des sièges. L’art de vivre au XVIIIe siècle répond à des codes de bienséance. Les journées sont codifiées et rythmées par des temps de prière, de repas, de culturel, de conversation, d’éducation, de divertissements, de jeux ou encore de fêtes. Certains châteaux ont une pièce dédiée « à la conversation, aux divertissements intimes et aux petites réunions » tels celui de Maisons-Laffitte.
Ces sièges étaient probablement destinés à la « cérémonie du temps de la conversation » et à l’art de la réplique, qui triomphe à Bordeaux sous le règne de Louis XV le Bien Aimé. Entre 1736 et 1768, le salon de Madame Duplessy, née Jeanne Françoise Marie de Chazot est le plus couru de la ville. Prématurément veuve d’un conseiller au Parlement, elle reçoit dans son hôtel particulier les personnalités politiques, artistiques et autres érudits, tout comme les représentants de la noblesse, correspondant avec toute l’Europe. Caylus, Montesquieu et Vernet sont des habitués, comme les salonnières parisiennes que sont Madame d’Egmont et la duchesse d’Aiguillon.

Conservés jusqu’à la Révolution au château de La Barde en Dordogne, ces sièges mettent en lumière une ancêtre discrète de la famille Vassal de La Barde. Héritière d’une des plus importantes familles bordelaises, Françoise-Madeleine de Filhot épouse en 1737 Jean de Vassal, seigneur de La Barde, de Perdigat et de Solvignac (1696-1739). Ce capitaine au régiment de Noailles décède deux ans plus tard, la laissant veuve, comme Madame Duplessis, alors qu’elle attend leur unique enfant. Son petit-fils héritera de son oncle du château de La Barde et portera le titre de Marquis. Françoise Madeleine est, quant à elle, la petite fille de Romain de Filhot (1641-1710), le fondateur de l’appellation Sauternes et bâtisseur de château Filhot en 1709, inspiré par Trianon à Versailles. La famille Filhot est l’une des familles les plus en vue à Bordeaux tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, donnant nombre de magistrats à la ville, dont le propre père de Madeleine, également conseiller au Parlement. Les membres du Parlement jouissent d’attributions et d’un grand prestige dans une province où il n'existe pas d'États locaux. La ville, qui est l’une des plus riches d’Europe, se transforme, avec la place Royale réalisée entre 1730 et 1755 par les architectes du roi Jacques Gabriel et son fils Ange-Jacques Gabriel.

Nos sièges pourraient donc avoir été commandés directement par Françoise Madeleine Filhot, veuve de Jean de Vassal, pour son propre salon, ou reçus plus tard par l’un de ses descendants. Disposés en rang devant un espace de représentation, ils sont les témoins de cette « cérémonie du temps des Arts », où chacun disposant de son siège se lève avec aisance, prend la parole, proclame son texte, sa poésie, son chant ou son spectacle, attendant la réplique qu’en feront les autres membres de l’assemblée : illustre et unique relique d’une époque où les belles lettres donnaient à Bordeaux un incomparable éclat brillant au firmament du siècle des Lumières.

ATTRIBUÉ À MICHEL CRESSON (1709-après 1773)

Suite de trois sièges de « cérémonie », vers 1730-1750

à dossiers plats et à assises basses, en hêtre mouluré et sculpté, à décor de grenades éclatées. Elle est composée d’un fauteuil à un bras côté gauche, d’une chaise et d’un autre fauteuil à un bras côté droit. Ils portent les numéros I, II et V à l’encre en chiffres romains.

Travail parisien attribué à Michel Cresson, menuisier en siège reçu maître en 1740.

Fauteuils : Haut. 90,4 et 88,4 Larg. 71,8 Prof. 62,5 cm.
Chaise : Haut. 90,2 Larg. 59,4 Prof. 62,4 cm.
(Décollements, traces anciennes d’insectes, enture d’un montant d’un des dossiers et légers éclats).

Provenance : collection Vassal de La Barde au château de La Barde, Le Bugue (Dordogne) jusqu’à la Révolution ; par descendance.

Exceptional and unique set of three carved and moulded beechwood ceremonial seats attributed to Michel Cresson. ca. 1730-1750.
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