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Saint Tryphon de l'école vénitienne vers 1510

Mardi 05 janvier 2021

par le cabinet Turquin

Saint Tryphon exorcise la fille de l’Empereur, par une école vénitienne vers 1510
Carpaccio, Saint-Tryphon exorcise le démon, Toile, Haut. 141, Larg. 300 cm. Scuola di San Giorgio degli Schiavoni 2
Cet important tableau, exceptionnelle réapparition, est un exemple de peinture décorative qui devait orner à l'origine les parois d'une salle de « scuola » à Venise, où ce type d'établissement existait depuis le XIIIe siècle et perdura jusqu'à l'époque napoléonienne. Il rassemblait les membres laïcs ou religieux d'une même communauté ethnique, ou de même rang social, riches patriciens ou simples artisans ou marchands groupés en corporation et confrérie, et travaillant dans la lagune. Leurs membres se consacraient aux œuvres de charité et de solidarité et, selon les cas, pouvaient trouver hébergement, aide, soins physiques et réconfort moral par l'exercice de la pratique religieuse. La République nommait à la tête de ces sociétés un « Gastaldo » tenu de faire respecter le bon fonctionnement du groupe régi par des statuts dits « mariegola » ou règles.

Suivant leur importance et leur richesse, ces scuole grandi ou piccole -Venise en a compté jusqu'à trois cents - comprenaient le plus souvent un hospice, une salle de réunion, une chapelle ou un oratoire placés sous le vocable de leurs saints protecteurs. Aux XVe et XVIe siècles, la construction et le décor intérieur des bâtiments furent confiés, pour certaines, à des architectes et des peintres de renom. Citons entre autres la plus prestigieuse : la Scuola grande di San Marco due en 1490 aux architectes Pietro Lombardo et Mauro Codussi, où travaillèrent aux Scènes de la vie de saint Marc les peintres Giovanni Bellini, Palma le vieux, Giovanni Mansueti, et le jeune Tintoret qui excella plus tard à la non moins célèbre Scuola grande San Rocco .

La décoration des Scuole di Sant'Orsola (Sainte Ursule) vers 1490-1498, de San Giorgio degli Schiavoni (Saint Georges des Esclavons) vers 1502-1508 ou de Santo Stefano (Saint Etienne) en 1511-1525 fut confiée à Vittore Carpaccio (vers 1465-1520), contemporain de Gentile et Giovanni Bellini, de Giovanni Mansueti ou Lorenzo Bastiani.

C'est à la Scuola di San Giorgio degli Schiavoni dédiée aux saints Georges, Jérôme et Tryphon, protecteurs de la communauté slave de Dalmatie principalement constituée de marins, que l'on trouve la scène d'exorcisme de saint Tryphon réalisée par Vittore Carpaccio. Par son format et son sujet, l'auteur de notre tableau s'en est manifestement inspiré (cf. P. Humprhey, Carpaccio, catalogue complet, éditions Bordas, Paris, 1992, reproduit p. 78-79 sous le n°161).

Saint Tryphon, originaire de Phrygie (Asie mineure), fut martyr au IIIe siècle. Saint patron de la ville dalmate de Kotor, où la cathédrale lui est consacrée, son culte est tout naturellement poursuivi par la communauté dalmate de Venise. Très jeune il accomplit des miracles en apprivoisant un basilic et exorcisant les démons. C'est ici le sujet de notre tableau où l'on voit la fille de l'empereur Gordien (238-244) délivrée du mal par le geste autoritaire du très jeune saint chassant si bien le démon qu'il n'apparaît pas dans la scène mais se retrouve, selon la légende, dans le chien éthique placé aux pieds de la jeune purifiée ! L'évènement eut lieu à Rome, mais l'auteur de notre tableau choisit de le placer à Venise du XVe siècle. On peut y déceler quelques éléments d'architecture vénitienne dans le paysage urbain dominant la scène, rappelant le style vénéto-lombard d'un Codussi dans l'abside de l'église située au sein de la muraille ou dans la façade de l'édifice surmonté d'une statue qui pourrait évoquer celle de la Scuola de San Marco du même Codussi. Également très vénitienne, une foule bigarrée et cosmopolite assiste à la scène : on reconnaît les autochtones à leur tenue sobre, les femmes simplement voilées, les hommes coiffés de petits bonnets noirs et les orientaux à leurs amples manteaux imitant le velours frappé ou à leurs élégants turbans. La jeune exorcisée se tient debout au centre de la foule qui l'entoure, alors que le petit saint thaumaturge à ses pieds ; elle lève la tête et les bras vers le ciel en signe de remerciement. Un grand dignitaire orthodoxe (?) et l'empereur se tiennent à ses côtés. L'homme barbu à droite, coiffé d'un bonnet surmonté d'un chapeau melon arborant un long manteau rouge, porte le costume traditionnel des juifs de l'époque. À l'extrémité se tient un personnage, sans doute byzantin, dont la coiffure rappelle celle de l'empereur de Constantinople Jean VIII Paléologue (1390-1448) et dont l'effigie reste connue par la célèbre médaille de Pisanello. Sa présence est peut-être une allusion aux origines de la double religion chrétienne et orthodoxe de saint Tryphon. Cette diversité humaine décrite ici, reflète la situation démographique de Venise à la fin du XVe siècle, ainsi que les peintres Gentile Bellini, Carpaccio, Cima da Conegliano et Mansueti l'ont décrite dans les scènes des vies des saints Marc, Ursule ou Jean (Venise, Académie ; Milan, Pinacoteca Brera)

L'identité de l'auteur de notre tableau doit être plutôt recherchée parmi les aides ou émules de ces grands maîtres. L'interprétation qu'il donne de la scène d'exorcisme reprend le schéma de composition de Carpaccio sur fond d'architectures urbaines animées de personnages apparaissant aux fenêtres, curieux d'assister à la scène se déroulant sous leurs yeux. Mais alors que chez ce dernier, la foule se dilue dans l'espace pour s'étendre sur toute la largeur du tableau après que l'évènement ait eu lieu, l'activité principale est ici focalisée sur la jeune fille au moment où le miracle se produit. Enfin, l'exécution enlevée, brossée par petites touches lumineuses, le dessin moins graphique fait penser à Cima da Conegliano (1459-1517) dans la scène de Thésée à la cour de Minos. Par les caractères morphologiques des personnages, femmes aux grands yeux ronds, visages pointus et barbes coniques des vieillards, la facture peut également se rapprocher de celle des œuvres de Giovanni Mansuetti (1485-1527) : on en trouve une preuve plus concrète si l'on confronte l'exécution du visage de la jeune fille et celui du saint Sébastien à la colonne entre les saints Grégoire, François Liberal et Rocco dans le retable conservé à Venise (Académie). Tout ceci indique de la part l'auteur une culture protéiforme, ne permettant pas encore de le sortir de l'anonymat.

ÉCOLE VÉNITIENNE VERS 1510

Saint Tryphon exorcise la fille de l’Empereur

Panneau de résineux, quatre planches.

Haut. 113 Larg. 263 cm.
(Fentes, manques).

ÉTAT
Panneau constitué de quatre planches assemblées à joints vifs dont les côtés de la seconde sont renforcés au revers par deux queues.
Fentes visibles au panneau.
Surface picturale : usures et restaurations anciennes.

Provenance : collection personelle Doré, hôtel de l’Europe, Tours.

Saint Tryphon exorcises the Emperor's daughter. Panel by the Venetian school around 1510, after the work by Vittore Carpaccio for the Scuola di San Giorgio degli Schiavoni.
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