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Vénus dormait nue dans la chambre de service

Mardi 14 avril 2020

extrait de "Adjugé ! La saga des Rouillac"
par Aymeric Rouillac


La redécouverte de la pensée et de l’art antique triomphe. Partie de la péninsule italienne, une nouvelle représentation du monde bouleverse les arts, avec la mise en place de la perspective, régnant sans égal sur la peinture pendant quatre siècles.

Lorsqu’un médecin de campagne vint voir mon père avec un panneau de bois glissé dans un sac plastique de la Fnac à l’hiver 2000, il cherche à comprendre pourquoi un brocanteur lui en a offert 20 000 francs. Cette femme nue, impudique, était en effet reléguée dans une chambre de service à cause de sa tenue légère. Mon père m’a souvent raconté cette aventure, et son émotion lorsqu’à côté de la date de 1532, il reconnaît un petit dragon ailé : le monogramme du maître allemand Lucas Cranach. L’œuvre de ce peintre de cour, intime de Martin Luther, qui a mis au point avec succès l’organisation commerciale de son atelier, évolue entre le portrait et les scènes bibliques ou mythologiques.

Notre Vénus et l’amour voleur de miel (cat. 14) est le prétexte d’un merveilleux nu féminin, autrefois interdit, sous couvert d’une fable morale tirée de Théocrite. La légende donne à lire : « Alors que Cupidon volait du miel de la ruche / Une abeille piqua le voleur sur le doigt / Et s’il nous arrive aussi de rechercher des plaisirs transitoires et dangereux / La tristesse vient se mêler à eux et nous apporte la douleur ». Vénus dévisage calmement le spectateur, simplement vêtue d’un voile transparent, mettant en valeur son déhanché et sa parure de bijoux.

La mise à prix fut fixée à celle du brocanteur. La surprise serait de taille. À un million de francs le propriétaire est saisi de vertiges, à trois millions il faut appeler les secours, qui l’em- mènent inconscient alors que le marteau retentit pour la somme incroyable de seize millions. Comme souvent, cette découverte d’un commissaire-priseur fit ensuite l’orgueil d’un grand marchand. Vénus trôna ainsi sur le stand de Konrad Bernheimer pendant de nombreuses éditions de la Biennale des antiquaires parisienne et de la TEFAF à Maastricht.

Si les petits ruisseaux font les grandes rivières, l’inverse est aussi vrai. Tiré d’affaire et méditant la leçon du panneau, notre médecin ne s’adonna pas aux plaisirs transitoires et dangereux, répartissant la somme obtenue entre ses enfants et donnant la plus grande part à l’œuvre religieuse de son choix. Contre la folie des hommes, il avait choisi dans la mémoire de la Renaissance le meilleur côté de leur humanité.
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