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"Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'au bout"

Jeudi 09 avril 2020

une histoire de pain, de vin, d'amitiés trahies et d'amour infini
par Aymeric Rouillac


En ce Jeudi Saint, qui inaugure le Triduum Pascal -c’est à dire les trois journées de célébration de la fête de Pâques pour les chrétiens- la vision qu’en eut un artiste liégeois dans l’entourage de Lambert Lombard à la Renaissance, s’impose pour illustrer notre découverte quotidienne. Comme plus tard les chevaliers de la table ronde autour du roi Arthur, Jésus Christ a réuni ses douze disciples pour un dernier repas. La table est magnifiquement recouverte d’un linge blanc, préfiguration du linceul mortuaire qui recouvrira le corps descendu de la croix. La scène est entourée de riches draperies aux lourds plissés venues de l’Orient, de part et d’autre d’une colonnade de marbre, comme pour mieux souligner le caractère historique et dramatique de cette Cène qui se joue, et… continuera de se jouer ensuite quotidiennement jusqu’à maintenant.

On sent bien à cette représentation que nous ne sommes pas à la table d’un quidam quelconque. L’artiste a voulu honorer son riche commanditaire en figurant une scène de banquet très contemporaine. Certes, les tenues vestimentaires sont à l’Antique, mais les riches pièces d’orfèvrerie, aiguières à col de cygne et singes à califourchon, les couteaux à larges lames courbes et même ce caniche à moitié rasé, utilisé à l’époque par les nobles du Nord de l’Europe pour chasser, illustrent un festin fastueux. Un agneau, mémorial de de la sortie des Hébreux d’Égypte, est préparé au centre de la table, alors que des coupes passent de bouches en bouches chargé d’un vin capiteux. Comment ne pas penser aux « Noces de Canaa », ce premier miracle du Christ qui changea l’eau en vin pour se manifester la première fois aux yeux des hommes ? De même, la panière débordante de pains sans levain rappelle un autre repas célèbre, précédant une autre fête de Pâques, avec la multiplication des pains et des poissons. Mais ce n’est pas l’institution de l’Eucharistie, pourtant bien présente, qui intéresse le peintre ; c’est le moment où cette joyeuse bande d’amis est prise de doutes alors que leur maître et seigneur annonce que l’un d’eux le trahira le soir même. « Serait-ce moi ? » demande Jean à sa gauche. Une empoignade survient dans la partie droite. Chacun est plongé dans une introspection, parfois démonstrative, parfois méditative.

Contrairement à la fabuleuse « Cène » de Léonard de Vinci, dont la tapisserie tissée pour François Ier était exposée l’été dernier au Clos Lucé, il est difficile d’identifier chacun des protagonistes. Il y en a un pourtant dont le nom ne fait pas de doute, c’est Pierre, assis à la droite du Christ. On le voit songeur, jouant machinalement avec un os de mouton. Le pauvre semble complètement perdu. Jésus lui a annoncé qu’il le renierait trois fois avec que le coq ne chante. Au début du repas, il lui a même lavé les pieds, se faisant son serviteur, dans un fantastique retournement de situation. Cette scène du lavement des pieds est illustrée sur la partie droite, au second plan du tableau. C’est d’ailleurs ce texte qui sera lu ce soir à travers le Monde, choisit dans l’Evangile de saint Jean. Jésus y institue le sacerdoce, qui est toujours celui des prêtres et des ministres de son culte : « Si donc moi, le Seigneur et Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’en ai fait pour vous » (Jean, 13, 15).

Qui est donc ce traitre ? Il occupe une place discrète et pourtant centrale sur ce panneau de bois de chène de quatre-vingt-quatre par cent vingt-sept centimètres. C’est Judas Iscariote, dont Jean dit que « le diable a déjà mis dans son coeur l’intention de livrer Jésus ». Vous le devinez difficilement sur la gauche du tableau, de dos avec ses cheveux bouclés tombant sur une tunique rouge et or. C’est le seul dont on ne voit ni les mains ni le visage. Une position discrète donc mais centrale, puisqu’on le retrouve quelque temps plus tard, à l’arrière plan, juste au dessus de la tête du Christ, dans la pénombre nocturne du Jardin des Oliviers. Il est entouré de gens d’armes envoyés par les chefs des prêtres pour arrêter Jésus, que l’on retrouve un peu plus loin sur la droite, seul en train de prier alors que ses amis se sont endormis, : « Père, tout est possible pour toi, éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que je veux mais ce que tu veux ! » dit-il (Marc, 14,36). La suite est connue : le baiser de Juda, l’abandon par tous, le lavement de mains de Ponce Pilate et la mort sur la Croix. C’est ce mystère que ce Jeudi Saint de la Renaissance nous donne à contempler : une histoire de pain, de vin, d’amitiés trahies, d’Amour infini et d’une coupe qu’on voudrait voir s’éloigner…

« Père, Que ta volonté soit faite… ».
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