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Les enchères montent en province

Vendredi 26 mai 2000

Les Échos, Judith Benhamou-Huet

A l'approche du vote définitif de la réforme des ventes publiques le 30 juin, le marché de l'art français cherche son positionnement face à la concurrence anglo-saxonne. Deux commissaires-priseurs de province proposent des opérations qui sont, dans leur genre, des réussites internationales.

L'an dernier, le tableau moderne le plus important vendu en France n'a pas été adjugé à Drouot, ni même dans une étude d'une grande ville de province, mais dans une petite localité de Touraine, à Cheverny. Il s'agissait d'une toile impressionniste de Claude Monet « Falaise à Etretat », enlevée pour 15,5 millions de francs par un acheteur resté anonyme. Cette année, le même commissaire-priseur, Philippe Rouillac, s'apprête à mettre sous le feu des enchères le 4 juin une toile fauve de Maurice de Vlaminck « Voiles à Chatou » estimée 8 à 10 millions de francs (1). Comme la majorité des lots présentés à cette date, l'oeuvre était jusqu'alors accrochée dans une propriété du Val-de-Loire. Elle avait été achetée dans une galerie parisienne en 1952, pour 1 million de francs. Sa « virginité » sur le marché ajoute à son caractère attractif.

Rendez-vous incontournable

Depuis douze ans, la vente de Cheverny se tient dans un lieu de prestige : l'orangerie du fameux château du même nom. Avec le temps, elle est devenue l'un des rendez-vous incontournables de la saison française. L'année dernière, l'opération a rapporté 21 millions de francs et, en 1990, un des meilleurs millésimes, 30 millions. Elle est le fruit d'un concept parfaitement mis au point par Philippe Rouillac : « Nous sommes dans une région où les rois ont bâti pendant deux siècles. Aujourd'hui, il reste de belles propriétés dans lesquelles vivent des gens entourés de belles choses. Nous sommes en concurrence directe avec les maisons anglo-saxonnes pour obtenir des objets intéressants. »

L'officier ministériel a donc repris à son compte certains usages en vigueur chez Sotheby's et Christie's, à commencer par une utilisation pertinente des relations publiques. La marquise de Brantes _ une citoyenne américaine, belle-soeur de Valéry Giscard d'Estaing _ tout comme le duc et la duchesse de Caramand _ un grand nom de l'Empire _ se chargent de promouvoir la vente auprès de ce que le commissaire-priseur appelle « un tissu relationnel ». De 2.000 à 3.000 personnes parmi lesquelles des personnalités en vue comme, par exemple, l'an dernier, Mick Jagger, assistent aux opérations. Et, selon Philippe Rouillac, les acheteurs sont pour les trois quarts d'entre eux des étrangers : « La vente est bâtie sur des principes simples. Nous assurons un service qui n'existe pas dans une vente ordinaire. Tous les objets proviennent de collections particulières. Outre les pièces d'une qualité exceptionnelle, nous proposons chaque fois un lot susceptible de médiatisation, mais aussi des objets de plus petite valeur qu'on peut classer dans la catégorie " curiosité ". La première année de Cheverny, nous avions vendu un escalier de la tour Eiffel pour 1 million de francs. En 2000, nous cédons les objets personnels de Barbara. » Le 2 juin seront en effet dispersées dans le même lieu 260 pièces issues de la succession de la chanteuse. Le lot vedette est un piano à queue de concert, de marque Baldwin, pour lequel le commissaire-priseur se refuse à donner une valeur d'estimation.

Dans un esprit plus traditionnel, le catalogue de Cheverny présente une commode d'époque Louis XV en laque du Japon, estampillée par un des grands noms de l'époque, BVRB, Bernard Van Risenburgh. Elle provient du château de Châteaurenard dans le Loiret. Et sa valeur est estimée à 2 millions de francs. Le commissaire-priseur, qui, en l'occurrence, fait aussi office d'expert, n'hésite pas à la comparer à des modèles présents dans les collections de Windsor et du Louvre.

La vente contient par ailleurs des pièces destinées aux budgets plus modestes. C'est le cas d'un impressionnant sarcophage égyptien de 1,90 m de haut en bois sculpté (50.000 francs). Pour 100.000 francs, on pourra peut-être obtenir le fauteuil Empire offert par le tragédien du XIXe siècle Talma à une amie comédienne.

Les fétichistes de l'église romaine devraient s'intéresser à la calotte de moire du pape Léon XIII offerte à la comtesse Didier-Jean en 1878 (5.000 francs). Pour le même prix d'estimation, mais dans un genre différent, on trouvera ce jour-là, la relique d'une Cendrillon du XVIIIe siècle. Perdant son soulier au cours d'un jeu chez son ami le chevalier des Arpentis, la duchesse de Choiseul le lui laissa en souvenir.

Le maître de musique

Le même week-end, c'est vers Vichy que convergeront les regards des amateurs d'instruments de musique (2). C'est en effet dans la ville d'eau que deux fois par an le commissaire-priseur du lieu organise des ventes qui font référence en la matière. « J'ai toujours été passionné par le sujet, explique Guy Laurent. Depuis six ans, j'ai pris pour relais deux experts parisiens de renom, Jean-Jacques Rampal pour la lutherie et Jean-François Raffin pour les archers. Depuis lors, les choses sont allées très vite. Chaque année, nous vendons 1.000 instruments et ces enchères sont devenues un rendez-vous pour les professionnels, qui se déplacent du Canada, de Finlande ou du Japon. Vichy est pour eux un point de ralliement. Ils y viennent aussi facilement qu'il se rendent à Londres. » Résultat : chaque vente donne un produit d'environ 12 millions de francs.

Le prix record date du 31 mai 1997, lorsque Guy Laurent a adjugé un violoncelle vénitien du XVIIIe siècle pour 1,9 million de francs. Dans le domaine des archets, un exemplaire français signé François Xavier Tourte est monté jusqu'à 530.000 francs en 1998. Pour attirer à lui les instruments qui partaient outre-Manche, le commissaire-priseur fait de la publicité dans les journaux spécialisés et envoie gratuitement le catalogue. « Aujourd'hui, nous vendons violons et violoncelles au prix du marché international et notre offre en matière d'archers est certainement la première au niveau mondial. 70 % des lots sont acquis par l'étranger alors que la marchandise est majoritairement française », observe l'officier ministériel.

Cette année, les 2 et 3 juin, la vedette est un violon en excellent état de Hannibal Fagnola, un Turinois qui exerçait dans les années 20, estimé 350.000 francs. Le luthier bénéficie d'une solide cote internationale. Au XIXe siècle, à Naples, la famille Gagliano était aussi renommée pour sa production d'instruments à cordes. Celui qui est mis aux enchères le 3 juin est signé Joseph Antoine Gagliano. Légèrement accidenté, il est estimé 220.000 francs. La vente contient aussi un violon des années 1840 (270.000 francs) de Jean-Baptiste Vuillaume, un des grands noms français de l'époque, ainsi que des modèles aux estimations plus modestes.

Mais, cette année, aucun chef-d'oeuvre tant prisé de la lutherie italienne du XVIIIe siècle _ ceux qui font des records _ ne sera présenté. En avril 1998, Christie's avait vendu à Londres un violon fabriqué par le fameux maître de Crémone, Antonio Stradivari, dit Stradivarius, pour 9,4 millions de francs. C'était le record aux enchères. Vichy a trouvé un autre positionnement. Par le nombre d'instruments cédés chaque année, l'étude Laurent est devenue la place incontournable pour les instruments à cordes en France.
Judith Benhamou-Huet
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