La photographie avant les selfies
Mercredi 18 mars 2020 à 15h
extrait de "Adjugé ! La saga des Rouillac"
par Aymeric Rouillac
Record mondial pour les bateaux de Le Gray
"En 1999, le record du monde pour une photographie ancienne est atteint par la Grande Vague de Le Gray. Un cheikh Qatari avait envoyé deux émissaires concurrents dans une salle des ventes londonienne lutter sans le savoir l’un contre l’autre. Son projet de musée a fait long feu mais le prix stratosphérique avait marqué les esprits et était considéré comme indépassable. Pourtant, à l’hiver 2010, avec l’expert Yves Di Maria, lorsque nous arrachons à la concurrence de Londres une collection de dix images découvertes dans l’Aveyron chez les descendants d’un officier de marine, nous pressentons que tout est possible. Il s’agit de vues de marine par Gustave Le Gray, réalisées sur papier albuminé. La technique est essentielle pour apprécier une image : le négatif verre au collodion permet ainsi une précision et une netteté formidables. Passant une loupe sur les hauts gréements de navires anglais, nous identifions chacun des marins montés y célébrer l’arrivée de la reine Victoria lors d’une revue navale ! Le Gray développait ses images au terme de longs bains chimiques dont il agrémentait les virages à l’or fin, permettant de conserver un siècle et demi plus tard de merveilleuses tonalités prune ou chocolat.La vente est un succès, marquée par de nombreuses préemptions et des batailles d’enchères homériques opposant Paris, New York et Dallas. Tous les regards sont tournés vers les Bateaux quittant le port du Havre (cat. 138). Cette image de 1856 est magnétique. Dans un contre-jour romantique, cinq navires quittent le port, sur la jetée duquel une foule les salue. Les tonalités sont exceptionnelles, la composition d’une modernité rare. Quatre épreuves de cette image seulement sont répertoriées au monde, depuis que le cinquième a brûlé dans le coffre-fort d’une banque lors de l’incendie de Los Angeles. Un jeune Texan distance le reste de l’Amérique pour s’opposer à un grand collectionneur français dont le nom est surtout associé à l’art contemporain. Peu importe, son oeil saisit les qualités d’un chef-d’oeuvre au-delà des genres. Avec élégance, le Français donne l’enchère nous permettant de battre le record du monde avant d’être couvert par l’Américain, qui emporte la bataille sous les applaudissements du public. Une nouvelle page du marché du huitième art est écrite. Quelle fierté d’obtenir une fois de plus un record mondial en province ! Lorsqu’après un revers de fortune la même image retourne aux enchères quelques années plus tard à New York, le record vendômois n’est pas égalé ! Le nom de Le Gray et notre record brillent donc toujours dans le firmament comme l’étoile solaire du marché de la photographie."