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Des oeuvres de Calder aux enchères à Tours

Jeudi 24 octobre 2019

La Nouvelle Republique, Raphaël Chambriard

Des oeuvres de Calder aux enchères à Tours malgré leur absence d'authentification

Le vendeur, Christian Quenault, ancien chaudronnier de l’usine Biémont, montre trois œuvres offertes par Calder, à Saché. <br />
© (Photo NR, Julien Pruvost)
Le vendeur, Christian Quenault, ancien chaudronnier de l’usine Biémont, montre trois œuvres offertes par Calder, à Saché.
© (Photo NR, Julien Pruvost)

L’étude Rouillac vend trois œuvres “ attribuées à Calder ”, mais pas reconnues pas la Fondation Calder. Pour la justice française, il ne s’agit pas de faux.

Artiste généreux au caractère entier, Calder n’aurait sans doute pas imaginé que ses cadeaux se trouveraient quelques années plus tard au cœur d’une bataille juridique. Elle a opposé pendant des années un ancien chaudronnier de Biémont à la Fondation Calder, à New York. Cette dernière avait fait saisir par la justice française des œuvres de Calder lorsque Christian Quenault les avait apportées à une étude parisienne qui les a ensuite présentées à la Fondation Calder pour le passage obligé, l’authentification. Cette bonne foi a plaidé en la faveur de Christian Quenault lorsqu’il a été mis en examen pour contrefaçon d’œuvre.

“ Un très vieux cadeau ”

Pendant l’instruction, plusieurs personnes ont confirmé que Calder avait offert plusieurs œuvres. Des expertises scientifiques ont aussi confirmé l’ancienneté des sculptures. Christian Quenault est relaxé. La cour d’appel confirme le jugement. « […] Rien ne permet d’établir sérieusement que les œuvres contestées seraient des contrefaçons et qu’elles n’auraient pas été remises à titre de libéralité par Alexander Calder à Christian Quenault. » Arrêt confirmé par la cour de cassation. « Toute la difficulté de cette affaire vient du fait que la fondation soit seule habilitée à authentifier les œuvres. En l’espèce, les décisions de justice authentifient qu’il ne s’agit pas de contrefaçon », explique Me Morin, avocat de Christian Quenault. Ces œuvres avaient été offertes au début des années 1970, en deux temps, par Calder à Christian Quenault, alors jeune chaudronnier. « Je le voyais à l’usine puis dans son atelier de Saché, où je faisais ce qu’il me demandait : du cintrage de fil de fer, du nettoyage, comme un manœuvre. Nous étions 5 ou 6 à y aller, mais je m’y rendais le plus souvent. Avec son accent américain, il m’a dit : “ Je vous fais un très vieux cadeau ” et m’a donné une caisse, marqué New York Calder avec, dedans, des œuvres en vrac. » Il s’agit des sculptures en fil de fer sur le thème du cirque. Le commissaire-priseur, Aymeric Rouillac, les date des années 1930. L’autre cadeau est une maquette en acier de mobile, signée et datée, de 1969. La sculpture de grande taille, « Dragons II ou 5 pales », était destinée à Chicago mais se trouve aujourd’hui à Nagoya (Japon). Du fait de l’absence d’authentification, la mise à prix de ces œuvres « attribuées à » sera largement inférieure à la cote : 1.000 € pour les fils de fer, 10.000 € pour la maquette. Des Calder « coups de cœur » pour le commissaire-priseur.

Vente aux enchères dimanche 17 novembre, à 14 h, au CCCOD, Jardin François-1er.

chronologie

2008 : la Ville demande les œuvres pour l’exposition sur Calder en Touraine. 2009 : confiscation des œuvres présentées à une étude parisienne qui veut les faire authentifier par la Fondation Calder, à New York. Elles sont placées sous scellés. Christian Quenault est mis en examen. Juin 2013 : jugement du tribunal correctionnel de Paris, Christian Quenault est relaxé. Mars 2015 : la Fondation Calder qui a interjeté appel, perd. Elle veut se pourvoir en cassation, mais la cour rend un arrêt de rejet. Tous les recours sont épuisés.

Le retraité de chez Biémont raconte Calder et ses mobiles

Avec l’épouse de Calder en mai 1977 à Jérusalem pour l’installation d’un stabile.<br />
© Photo NR
Avec l’épouse de Calder en mai 1977 à Jérusalem pour l’installation d’un stabile.
© Photo NR

Michel Juigner, retraité à Joué-lès-Tours, fait partie des derniers chaudronniers vivants de chez Biémont qui ont travaillé pour Calder. De 1964 à 1976, précise-t-il. « Je me souviens de son accent à couper au couteau. Il portait toujours sa chemise rouge, un pantalon beige, de grosses chaussures et venait avec son ID break bleue de Saché jusqu’à l’usine au Menneton, à Tours. J’ai découvert ce bonhomme qui réalisait des choses extraordinaires. » Natif de Tours, ex-président de l’ACO 37 (Automobile club de l’ouest), Michel Juigner poursuit : « Calder signait son œuvre d’un “ CA ” avec un bout de craie puis au burin, et sur ses grands éléments, c’est nous qui mettions sur sa signature un cordon de soudure en relief ».

“ A Jérusalem avec son épouse ”

Chez Biémont, l’ouvrier métallo est passé chef d’équipe puis au bureau d’études. « J’ai vu Calder de multiples fois. Il paraissait bourru, il impressionnait mais il était absolument charmant. Il était artiste, pas technicien. Alors, il venait avec une maquette d’environ 20 cm de ses célèbres mobiles ou stabiles, des feuilles d’alu tenues avec de la ficelle. On en faisait un premier dessin, puis une maquette à l’échelle qui passait en soufflerie à Poitiers pour tester sa résistance au vent. Elle nous revenait. La découpe de l’acier (de qualité) pouvait commencer. Calder venait voir l’assemblage à blanc (provisoire), apportait ses corrections, et on passait à la soudure, à l’atelier peinture, au boulonnage avec des boulons carrés, traditionnels ». Michel Juigner parle de « 129 œuvres de Calder sorties de chez Biémont », dont une bonne cinquantaine sur lesquelles il a lui-même travaillé. Il cite le directeur Jacques Bazillon, le contremaître Jean Berruet, « l’homme de confiance » du sculpteur américain, ou encore le « père Brault », le chef d’atelier : « Calder était venu à son départ de chez Biémont et lui avait fabriqué un objet en forme de broc ! »
Michel Juigner parle de cette époque dorée pour Biémont, « des visites de journalistes, de photographes, mannequins, drôle d’ambiance ! » Et conserve un souvenir émouvant de Jérusalem en mai 1977, avec l’épouse de Calder, pour l’installation d’une œuvre monumentale du maître alors récemment décédé. Le retraité porte un œil sévère sur tout le marché fait autour du « patrimoine » Calder.
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