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Vase des titans par Rodin et Carrier-Belleuse

Mardi 01 mai 2018

Le souffle du génie créateur au retour d'un voyage en Italie

Vase Titans Rodin
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Numéro 41 de la vente

Auguste RODIN (Paris, 1840 - Meudon, 1917) et
Albert Ernest CARRIER-BELLEUSE (Anizy-le-Château, 1824 - Sèvres, 1887)
pour la manufacture de Choisy-le-Roi

Jardinière des Titans, 1899

Céramique émaillée.
Vasque en faïence émaillée à décor en applique de feuillages et grenouilles
Porte au-dessous les marques en creux H.B &C/CHOISY/FRANCE et les numéros « 1523 et 1704 »
Haut. : 32 cm, Diam. : 50 cm.

Piétement composé de quatre titans en relief en faïence émaillée.
Signé « A. CARRIER-BELLEUSE » et porte en-dessous les marques en creux 3017 PIM et la date 20/07/1899
Haut. : 39 cm.
(restauration d’un éclat sur la base du piètement)

Haut. totale : 71 cm.

Provenance :
- Manufacture de Choisy-le-Roi
- Collection privée, France

Œuvres en rapport :

Detroit, Detroit Institute of Arts, Vase des Titans, H. 72,1 cm, vers 1877-1878, N°inv. 2003.32
Detroit, Detroit Institute of Arts, Vase des Titans, H. 72,1 cm, vers 1877-1878, N°inv. 2003.32

Paris, Musée des Beaux-arts de Paris, Petit Palais, Vase des Titans, H. 72 cm, vers 1877, n°inv ODUT 1924
Paris, Musée des Beaux-arts de Paris, Petit Palais, Vase des Titans, H. 72 cm, vers 1877, n°inv ODUT 1924

Madrid, Museo Lazaro Galdiano, Vase des Titans, H. 69,5 cm, ca 1901, n°inv.08158
Madrid, Museo Lazaro Galdiano, Vase des Titans, H. 69,5 cm, ca 1901, n°inv.08158

FRANCE 5 - LA QUOTIDIENNE
Découverte de la jardinière à l'occasion d'une émission télévisée.




PRÉSENTATION PAR LE CABINET SCULPTURE ET COLLECTION

Carrier-Belleuse, Rodin et les arts appliqués :

Surnommé le « Clodion du Second Empire », Albert-Ernest Carrier-Belleuse assoit cette renommée sur l’exécution de nombreuses statuettes et sculptures en terre cuite aux thèmes légers, réalisées pour une clientèle aisée et bourgeoise. Élevé à une position distinguée dans les beaux-arts, Carrier-Belleuse a également fondé sa carrière internationale sur une production protéiforme au service des arts appliqués.

Véritable entrepreneur et expérimentateur, il a su embrasser la révolution industrielle dès le début de sa carrière et s’adapter aux évolutions technologiques qui ont transformé l’art de sculpter dans la seconde moitié du XIXème siècle.
Après seulement quelques mois d’études à l’École des Beaux-Arts en 1840, il quitte cette formation académique pour vendre ses services de dessinateur de modèles pour le commerce du luxe, tout en poursuivant sa formation à l’École royale gratuite de Dessin et de Sculpture d’ornement. Alors que le contexte politique instable en France se répercute sur le monde artistique, Carrier-Belleuse répond en 1850 à l’appel de l’industrie britannique en pleine campagne de promotion. Installé pendant cinq ans à Stoke-on-Trent, il devient à la fois modeleur pour la fabrique de Minton et enseignant en dessin. Il fournit aussi de nombreux modèles à d’autres manufactures en Angleterre et en France. Cette expérience qui lui a permis de se familiariser avec la fabrication des céramiques lui est d’un grand bénéfice pour la suite de sa carrière.

De retour à Paris en 1855, il ouvre un vaste atelier dans lequel il applique avec audace et dynamisme ce qu’il a vu et expérimenté en Angleterre. Au service des arts décoratifs et de la commande officielle en statuaire, il y développe un mode de production de multiples exceptionnel en France, encadré par de nombreux praticiens. Parmi les spécialistes impliqués dans ce processus de création, se distingue le jeune Auguste Rodin, qui travaille irrégulièrement sur deux décennies pour Carrier-Belleuse. Formé à la Petite École à l’instar de son aîné, il partage son temps, dès 1864, entre l’atelier des frères Fannière et celui de Carrier-Belleuse. Il exécute principalement pour ce dernier des modèles de sculptures décoratives. Par sa capacité à comprendre la touche de Carrier-Belleuse tout en y apportant sa connaissance anatomique pointue, il gagne la confiance du maître. Ce dernier l’implique dans de nombreuses commandes, notamment dans le chantier de la Bourse de Bruxelles en 1871. Plus tard, Rodin se vantera que « Personne ne pouvait terminer (les projets de Carrier-Belleuse) aussi bien que lui ».

En 1876, après une période de cinq ans pendant laquelle il travaille de manière indépendante, Rodin, financièrement acculé, reprend son travail de modeleur auprès de Carrier-Belleuse alors à l’apogée de sa carrière. Récompensé pour son rôle dans la promotion des produits manufacturés, ce dernier vient d’être nommé directeur de la Manufacture nationale de porcelaine de Sèvres. Il réengage non seulement Rodin comme modeleur dans son propre atelier, mais aussi à partir de 1879, à la Manufacture de Sèvres, pour laquelle il doit relever le défi d’un renouveau dans la production . C’est dans ce nouveau contexte de collaboration que nait la jardinière des Titans. Cette œuvre témoigne du processus de création qui lie les deux célèbres sculpteurs.

La Genèse de la Jardinière des Titans avec vasque aux grenouilles et au décor végétal appliqué

Monumentale, l’œuvre est composée d’une vasque au diamètre relativement imposant et d’un piètement sur lequel ont été appliqués quatre atlantes en ronde-bosse selon la technique du marcottage.

Carrier-Belleuse s’est déjà attelé au défi technique de la création d’un vase en céramique de forme complexe lors de son séjour en Angleterre. Il a en effet conçu un impressionnant vase à la demande du fabricant Minton pour l'Exposition internationale de 1862 à Londres. Cette œuvre, acquise à cette occasion par le jeune et actif Victoria & Albert Museum, alors nommé South Kensington Museum, témoignait de la maîtrise technique et de la qualité des œuvres issues de ladite manufacture (V&A Museum, n°inv. 8111-1863). Le vase en porcelaine peinte sur lequel sont appliquées des anses en forme de serpents dorés est, non pas porté par de puissants atlantes, mais par quatre jeunes garçons accroupis en parian . En 1876-1878 il a également réalisé deux modèles de vase, dit de la Jeunesse, soutenus encore par des enfants pour les manufactures de Minton et de Sèvres (Figure 1).

L’esquisse de la Jardinière des Titans conservée au musée des Beaux-Arts de Calais, que Carrier-Belleuse publie en 1884 dans son ouvrage de modèles Études de figures appliquées à la décoration, pourrait correspondre à l’un des dessins préparatoires que le sculpteur a l’habitude de transmettre à ses praticiens et à partir desquels ils modèlent les prototypes (Figure 2).

Comme en témoigne le modèle en terre cuite conservé au musée éponyme, Rodin s’en inspire mais transcende le projet de son maître en façonnant pour le piètement de puissantes figures en ronde-bosse reprenant une création de Michel-Ange. Ces quatre atlantes à l’anatomie précise et herculéenne qui portent le vase s’inspirent des Ignudi de la chapelle Sixtine contemplés lors de son séjour en Italie en 1875-1876. Rodin a su traduire en trois dimensions le style puissant de l’artiste de la Renaissance qu’il admirait tant. Cette transcription a très probablement plu à Carrier-Belleuse dont l’admiration personnelle envers le sculpteur florentin s’était manifestée deux décennies auparavant : lors de l’exposition universelle de 1855, il présente une paire de statuettes historiques représentant Raphaël et Michel-Ange portant un modèle d’écorché .

Le piètement des Titans, signé « A Carrier-Belleuse », correspond à la partie inférieure d’une œuvre pensée dès l’origine en deux parties : une vasque et un support, l’ensemble formant une jardinière. L’œuvre apparait dans le catalogue de ventes de 1884, sous le registre « Terres cuites – patinées » sous le titre : Titans, jardinière (Figure 4).

Le modèle avec la vasque ornée d’un bandeau grec assez sévère et classique, dont Rodin nous a laissé le témoignage en terre cuite , évolue encore pour se mettre au goût de l’époque lors de sa production en céramique vernissée (Figure 3).

Contre toute attente, c’est non pas à la Manufacture de Sèvres, mais à celle de Choisy-le-Roi que le modèle trouve sa forme finale, avec une vasque sublimée par les couleurs chatoyantes de l’émail. Cette faïencerie locale connait un véritable succès lors de sa prise en main par Hippolyte Boulenger en 1863. En introduisant un procédé importé d’Angleterre qui imite la porcelaine de Chine et en renouvelant les créations de la manufacture, le nouveau directeur permet aux faïences de Choisy-le-Roi d’être reconnues au niveau international. Le choix de faire éditer la Jardinière des Titans dans cette entreprise spécialisée en faïencerie, ainsi que de nombreux autres modèles de Carrier-Belleuse, s’explique par la nomination de son propre fils Louis-Robert (1848-1913) comme directeur artistique de 1890 à 1895. Intéressé très tôt par les arts industriels, Louis-Robert a en effet travaillé auprès de son père à la manufacture de Sèvres, avant de bénéficier d’une formation par le célèbre céramiste Théodore Deck. Fournisseur également de nombreux modèles et directeur de la politique de production de la manufacture, il fait exécuter des œuvres qui sont parfois signées des initiales de son père, mort en 1887, et de lui-même en signe de leur intime collaboration.

De cette production, seuls quatre exemplaires complets (c’est-à-dire combinant le piètement des Titans et une vasque) sont aujourd’hui connus . Les différents supports des Titans ne se distinguent les uns des autres que par la modification des couleurs choisies pour leur vernissage. Au contraire, les vasques sont plus ou moins ornées, offrant toutes des décors originaux (motif ou glaçure), selon le choix des commanditaires.

Les jardinières conservées aux musées des Beaux-Arts de Paris-Petit Palais et au Detroit Institute of Arts sont toutes deux ornées d’un décor dit « vasque lézard », tel qu’il est mentionné dans le catalogue de la faïencerie publié en 1895 . L’œuvre du Petit Palais arbore un fond d’un profond violet « aubergine », tandis que celle de Detroit possède un bleu plus en harmonie avec l’émaillage des drapés recouvrant les têtes des titans. Notre exemplaire présente quant à lui un intérêt documentaire indiscutable : la date de son exécution incisée avant cuisson au revers du piètement, le 20 juillet 1899, permet de le situer par rapport aux autres exemplaires. Il semble bien qu’il ait été produit quelques années après les versions du Petit Palais et du Detroit Institute of Arts, quand Louis-Robert n’est plus directeur artistique. En ce sens, le décor de la vasque s’émancipe du modèle proposé « aux lézards » et présente des grenouilles dans un décor de feuilles de lierre. Le fond est orné d’une glaçure à trois teintes grise, mauve et ocre, mettant remarquablement en valeur les puissants titans à la couverture plombifère. Le dernier exemplaire conservé à Madrid et daté de 1901 confirme cette adaptation au goût des commanditaires dans l’exécution personnalisée de la jardinière : la vasque présente en effet un décor plus géométrique sur un fond bleu pâle, s’inspirant du style Art nouveau.

Figures

Fig. 1 Manufacture de Minton d’après un modèle de Carrier-Belleuse, vase en porcelaine et bronze doré, piètement en parian, Exposition Universelle de 1862 de Londres, acquis par le musée en 1862, H. 95.5 cm x L. 76 cm, P. 35.5 cm base, Diam : 59 cm
Fig. 1 Manufacture de Minton d’après un modèle de Carrier-Belleuse, vase en porcelaine et bronze doré, piètement en parian, Exposition Universelle de 1862 de Londres, acquis par le musée en 1862, H. 95.5 cm x L. 76 cm, P. 35.5 cm base, Diam : 59 cm, V&A Museum, n°inv. 8111-1863.

Fig. 2 Albert-Ernest Carrier-Belleuse, Les Titans - Vase : Faïence et terre cuite - Piédestal : pierre et bronze, planche 173 de l’Application (…), 1884, Editeur : Paris : Goupil et Cie.
Fig. 2 Albert-Ernest Carrier-Belleuse, Les Titans - Vase : Faïence et terre cuite - Piédestal : pierre et bronze, planche 173 de l’Application (…), 1884, Editeur : Paris : Goupil et Cie.

Fig. 3 Auguste Rodin, Piédestal aux Titans, terre cuite, H.: 72 cm ;, Paris, Musée Rodin, n°inv. S.02682.RF.
Fig. 3 Auguste Rodin, Piédestal aux Titans, terre cuite, H.: 72 cm ;, Paris, Musée Rodin, n°inv. S.02682.RF.

Fig. 4 Faïences d’art, Œuvres de A&L Carrier-Belleuse, vers 1895, n.p.
Fig. 4 Faïences d’art, Œuvres de A&L Carrier-Belleuse, vers 1895, n.p.
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