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Refus d'exportation pour une huile attribuée à un Le Nain

Dimanche 22 avril 2018

Le Figaro, Eric Biétry-Rivierre

Son authentification confirmée, l'État refuse que le tableau découvert cet automne en Vendée sorte du territoire national

L'arrêté de la ministre de la Culture est paru dans le Journal officielde dimanche. Le certificat d'exportation demandé pour un Christ enfant méditant sur la Crucifixion est refusé durant trente mois. Ce tableau déposé chez l'expert parisien Éric Turquin (qui l'a estimé à un montant compris entre 3 à 5 millions d'euros), et dont la vente aux enchères par l'étude Rouillac demeurait hier fixée au 10 juin (château d'Artigny, Indre-et-Loire), a donc de grandes chances de rester en France. Et peut-être dans une collection publique si l'État choisit de le préempter en tant que «trésor national».

La décision valide l'étude faite depuis la découverte de l'huile en octobre 2017. Cet automne-là, le commissaire-priseur Philippe Rouillac et son fils Aymeric sont contactés par une septuagénaire de Vendée. Elle explique qu'elle vend des «vieilleries» sur Internet mais qu'elle a un doute sur une toile offerte par sa grand-mère dans les années 1950.

L'enquête commence. Le nom des frères Le Nain est avancé. Une séance de comparaison est organisée un jour de fermeture au Louvre où se trouvent 15 des 75 œuvres attribuées à cette mythique fratrie d'artistes picards, actifs dans la capitale autour de 1640. Unanimes, les spécialistes valident l'hypothèse et lancent même un prénom: Mathieu, le plus jeune des trois peintres, qui sera fait «peintre ordinaire» de la ville de Paris grâce aux restaurations qu'il a effectuées à l'hôtel de ville et aux commandes d'art religieux qu'il a honorées alentour. Académicien, Mathieu avait aussi été reçu à l'ordre de Saint-Michel.

Il est mort après les deux aînés, vers l'âge de 70 ans, en 1677. Son inventaire après décès mentionne plus de 200 tableaux. Ce Christ enfant, exécuté vers 1640-1642, «doté d'une esthétique sobre, d'un caractère poétique émouvant et illustrant une thématique religieuse rare», selon le texte du JO, pourrait être l'un d'eux.

Une douzaine d'années après ce travail, ce serait encore à Mathieu qu'on devrait l'Atelier de l'artiste du Musée de Poughkeepsie (État de New York). Cette œuvre figurait en bonne place au sein de la dernière rétrospective Le Nain, montée au Louvre-Lens le printemps dernier. Elle semble en effet annoncer le chef-d'œuvre absolu qu'est L'Art de la peinture de Vermeer, Joconde du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Pour les commissaires, «Mathieu a développé un style au coloris contrasté, aux formes molles, à la touche dense et menue, juxtaposant les accents clairs. Contrairement à ses frères, il travaille sans avoir recours à l'observation directe du modèle. Enfin, c'est un éclectique aux sources d'inspirations multiples, et en particulier caravagesques». Tel est parfois, à qui sait voir, ce que révèle une «vieillerie».

Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 23/04/2018.
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