Mystérieuse, intense et inédite
Vendredi 06 avril 2018
La Gazette Drouot, Anne Foster
La Gazette Drouot n°14, Une du 6 avril 2018
Frères Le Nain, Jésus enfant en adoration de la Croix, huile sur sa toile d’origine, entre 1642 et 1648,
72 x 59 cm.
Estimation : 3/5 M€
72 x 59 cm.
Estimation : 3/5 M€
LES FRÈRES LE NAIN, ARTISTES PROCHES DE LA CONTRE-RÉFORME, INFUSENT LEURS ŒUVRES D’UNE SPIRITUALITÉ INTENSE. CETTE PEINTURE, INÉDITE, TÉMOIGNE DE LEUR EMPATHIE ENVERS LE SACRIFICE DU CHRIST POUR LA RÉDEMPTION DES HOMMES.
Le tableau est inédit. Figurant un unique personnage, fait rare chez les Le Nain, il est explicite : Jésus, encore enfant, contemple les instruments de sa Passion, et accepte son sort. Une réalisation profonde, émouvante. Le message est riche de compassion et d’humanité dans l’esprit de la Contre-Réforme, qui tenait à placer le Christ au plus près des hommes et surtout des plus humbles. Entre l’Annonciation et la leçon du Temple, où, âgé de 12 ans, il s’affirme comme fils de Dieu, seuls deux évangiles nous offrent quelques lignes : une vingtaine de versets dans l’Évangile de Luc, et, dans une moindre mesure, celui de Matthieu. Luc écrit : « Quant à l’enfant, il grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la faveur de Dieu était sur lui. »
La scène, brossée par les frères Le Nain, se situe peu avant les premières paroles de Jésus au temple de Jérusalem. Ils peignent un jeune garçon entre l’âge de 6 et 12 ans, proche des autres figures enfantines peuplant leurs tableaux, religieux ou profanes – même ceux- ci transmettent d’une manière subliminale une lecture religieuse. Son regard est concentré, avec juste une pointe de tristesse. Il est agenouillé, acceptant son destin, devant certains instruments de sa Passion, les Arma Christi : la Croix, la lanterne des gardes, les tenailles, le bassin et le hanap couvert du linge avec lequel Ponce Pilate se lave les mains, la lance, les clous, le pilier de flagellation, la branche d’hysope et l’échelle de la des- cente de Croix. Derrière lui, un rideau violet symbolise le rideau du temple.
Les frères Le Nain évoquent la scène rapportée dans l’évangile de Matthieu (27-47-54) : « À partir de midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures [...] Et voici que le voile du sanctuaire se déchira en deux du haut en bas. » Les sombres nuées, à peine éclairées par un embrasement à la ligne d’horizon, et une blafarde lumière entre les masses de nuages, placent le spectateur devant la mort du Christ. Un tableau qui souligne le mystère de la Passion et de la Résurrection à venir, signifiée par la robe blanche dont est revêtu Jésus. Œuvre que l’on ne peut attribuer à l’un des frères spécifiquement – Antoine, Louis et Mathieu Le Nain ayant travaillé la plupart du temps ensemble. Dans l’exposition du printemps 2017, « Le Mystère Le Nain », au Louvre-Lens, de nombreux tableaux religieux étaient attribués à Louis ou Mathieu.
Reste le «sentiment de la vie intérieure» que Jacques Thuillier décelait chez les frères, ou comme le soulignait Aloïs Riegl, « une contemplation oublieuse de soi-même [...] une vie intérieure, qui pour être intense et grave, n’en est pas moins ouverte au monde ».
CHÂTEAU D’ARTIGNY, DIMANCHE 10 JUIN. ROUILLAC OVV. CABINET TURQUIN.