FR
EN

Rêve vénitien

Samedi 25 février 2017

Cette semaine, Tina, de Cour-Cheverny, fait parvenir à Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, la photographie d’un « tableau de Venise » acheté 300 € dans un dépôt-vente. A-t-elle fait une bonne affaire ?



Venise ! Le fait même de prononcer le nom de cette ville est envoûtant. Venise fascine les artistes de l’Europe entière depuis des siècles. Véronèse, le Titien, Turner, Monet ; ils sont légion à être tombés sous le charme de la lumière vénitienne qui sublime chaque pierre, chaque vaguelette, chaque paysage, chaque personnage qu’elle effleure. Vous connaissez tous ces vues du Grand Canal ou de la place Saint-Marc. Elles sont le fruit d’un nouveau genre pictural, la Veduta (ce qui se voit), basé sur la représentation en perspective de paysages urbains, tels quels, et avec force de détails. Ce courant comptera des virtuoses en Flandres et à Venise. Le plus grand est sans conteste Canaletto.Dans un souci de réalisme, les « vedutistes » utilisent une cameraobscura (chambre noire) qui permet d’obtenir une image projetée sur une surface plane plus fidèle à réalité que ne l’est l’œil humain. Ces panoramas, de grand format pour la plupart, ont suscité une passion folle chez les riches amateurs occidentaux au cours du XVIIIe siècle...

Le tableau de notre lectrice figure le palais des Doges. Au temps où la République de Venise était indépendante, c’est Le Doge qui présidait à la destinée de la cité. Sa résidence se situe à deux pas de la place Saint-Marc, le long de la Riva degli Schiavoni, l’équivalent vénitien de la promenade des Anglais à Nice. De grande taille (60 x 90 cm),cette vue est animée de gondoles et de personnages. Impossible de ne pas penser à Canaletto… En 2013, une toile du maître s’est vendue plus de dix millions d’euros à Londres. Tina, si votre rythme cardiaque s’accélère, tâchez de vous calmer. Tout ce qui suscite la convoitise et se négocie à prix d’or attire les vautours…Votre tableau, chère lectrice, n’est pas un Canaletto, mais une copie.L’original, titréRiva degli Schiavoni a été peint en 1730. Il est conservé à Londres, au Sir John Soane’s Museum. Alors quid de cette signature en bas àdroite : « J. Smith » ? John Smith, c’est un peu le Jean Dupont anglais. Mais à l’époque de Canaletto, le John Smith le plus célèbre est un grand marchand d’art anglais qui a largement contribué à la renommée du Vénitien auprès de la haute société britannique. Quoi qu’il en soit, il n’a jamais peint un seul tableau ! En observant l’aspect de la toile et du châssis, tout doute s’évapore. Le tableau de Tina n’a pas 50 ans d’existence. C’est une copie qui ne vaut pas même les 300 € qu’elle a déboursé pour l’acquérir. Sa valeur est décorative, autour d’une centaine d’euros.

Le prix d’un doux rêve, et d’un beau voyage dans la cité lacustre qui a inauguré son célèbre carnaval il y a quelques jours.
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :