L'ODYSSÉE DU PREMIER APPAREIL DE CINÉMA PARLANT
Jeudi 21 mai 2015
Le Figaro, Valérie Sasportas
http://www.lefigaro.fr/cinema/2015/05/20/03002-20150520ARTFIG00295-l-odyssee-du-premier-appareil-de-cinema-parlant.php
En plein Festival de Cannes, Aymeric Rouillac, commissaire-priseur en Touraine, a annoncé la vente aux enchères du premier appareil de cinéma parlant, le chronomégaphone deLéon Gaumont, au château d'Artigny le 7 juin. Une cinquantaine de ces appareils datant de 1911 aurait été commercialisée dans le monde. Celui-ci provient d'une collection française. «Il s'agit du plus sophistiqué parmi ceux conservés dans les collections publiques ou privées, comme le Musée des arts et métiers ou la Cinémathèque française. Et c'est aussi le seul qui soit resté avec tous ses accessoires, malles et contenu, affiches et phonoscènes», affirme Aymeric Rouillac. Sa solide estimation, entre 1 et 1,5 million d'euros, doit être à la mesure du caractère patrimonial de l'objet. Contre toute attente,celui-ci est muni d'une autorisation de sortie du territoire français. «À deux reprises, le ministère de la Culture, qui aurait pu le retenir, a perdu notre dossier de demande de passeport!», s'étrangle le jeune marteau. Deux musées étrangers, en Inde et au Qatar, seraient intéressés. La belle affaire est arrivée en 2013. L'actualité lui donne un écho inespéré: à Paris, la maison Gaumont montre son «trésor» dans le cadre d'une rétrospective au Cent quatre, jusqu'au 5 août. Mais l'appareil exposé est un chronophone, «modèle primitif du chronomégaphone», souligne Aymeric Rouillac.
Cinq cents kilos de matériel
Pour la première fois depuis 1913, les quatre caisses contenant cinq cents kilos de matériel viennent d'être rouvertes. Charles Proust a transmis leur histoire à son neveu Gabriel,jusqu'à sa mort en 1974. « Nous sommes une famille qui se raconte », confie cet ancien médecin, aujourd'hui âgé de 84 ans. Charles Proust, né en 1887 près de Tours, est le dernier d'une fratrie de neuf enfants.
Gabriel Proust
«Mon père, Sylvestre,né en 1875, était médecin. Mais Charles, lui, est devenu charpentier», commence Gabriel Proust. Sylvestre et Charles, âmes voyageuses, s'embarquent pour l'Amérique. « En 1907, ils prennent le chemin de fer Pacifique jusqu'au Mexique,traversent la mer de Corail et débarquent à Santa Rosalia, en basse Californie.Mon oncle y construisait des usines pour les ouvriers que mon père soignait.Jusqu'en 1911, ils ont amassé une fortune », poursuit Gabriel Proust. Au point de prendre une année sabbatique. Charles Proust conçoit alors son projet de cinéma ambulant au Mexique. Le charpentier a lu dans une revue spécialisée que la première séance de cinéma parlant avait été donnée à l'Académie des sciences, à Paris, le 27 décembre 1910. Un an plus tard, rue du Rocher,siège de la maison Gaumont, le charpentier achète un chronomégaphone : « 8330,80 francs or, payés comptant. C'était le prix d'un petit château à l'époque », s'exclame Gabriel.
Un ticket pour le « Titanic »
Charles Proust et son appareil doivent embarquer sur le Titanic pour New York. Son frère le presse de passer par La Havane pour arriver plus vite au Mexique. Il change de navire. À Mexico, en mai 1912, les frères Proust donnent leur première séance de cinéma parlant. Le courant ne passe pas,c'est l'émeute! Charles trouve une alternative pour faire tourner les dynamos.La première phonoscène, Le Roi Gambrinus, fait un triomphe à l'opéra. On peut encore la visionner sur le site Internet de Rouillac. La révolution coupe court à l'aventure mexicaine. En octobre 1912, Charles Proust remonte son cinéma parlant à Cuba pour une ultime séance. Le 7 mars 1913,Sylvestre et Charles, ruinés, rentrent en France. La guerre de 1914 achève de tuer leurs rêves. Gabriel Proust a hérité de l'appareil de son oncle. Si ses trois enfants ne se le disputaient pas déjà, il affirme qu'il n'aurait pas décidé de le vendre. Il a couché sur le papier la fabuleuse épopée de Charles.Il cherche un éditeur.