HAROUÉ, RICHELIEU, CHANTELOUP, LE DÉMANTELLEMENT DU PATRIMOINE MOBILIER SE POURSUIT
Lundi 18 mai 2015
La Tribune de l'Art, Didier Ryckner
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Alors que les défenseurs du patrimoine attendent en vain depuis des années une loi qui permettrait de protéger le mobilier historique in situ, le dépeçage des grandes demeures françaises dénoncé dans un précédent article se poursuit.Le 15 juin à Drouot seront en effet vendus de nombreux objets provenant du château d’Haroué en Lorraine. Dans un article du Figaro paru le 30 avril dernier, on nous explique que le produit de la vente devrait servir à restaurer le château, et dans L’Est Républicain, on lit que celui-ci « est de la taille des châteaux de la Loire mais ne reçoit pas autant de visiteurs ».
Mais comment un château en passe de devenir une coquille vide pourra-t-il augmenter sa fréquentation ? C’est en réalité l’inverse qui va se produire ; dans quelques années, faute de visiteurs et sans plus rien à vendre, comment ce château pourra-t-il continuer à être restauré ?
Tout cela relève de la politique de gribouille : vendre ce qui représente un élément essentiel pour l’histoire du monument et par la même occasion un de ses attraits touristiques majeurs n’est en aucune façon une solution pour le pérenniser. Cela ne fait, au contraire, qu’accélérer sa perte.
Ce n’est pas la première fois que du mobilier d’Haroué est mis en vente. Mais la vacation du 15 juin promet d’être particulièrement dramatique. On y trouve en effet plusieurs portraits de famille des Beauvau, du XVIe siècle (deux attribués à François Quesnel - ill. 1) au XVIIIe siècle (attribués ou atelier de Pierre Gobert), un important tableau lorrain du début du XVIIe siècle par Claude Jacquart représentant la Marche de mariage de sa Majesté Henri-Jacques de Lorraine et d’Anne Marguerite Gabrielle de Beauvau Craon (ill. 2), plusieurs tableaux anciens, un chef-d’œuvre de François Gérard représentant Zoé Victoire Talon, comtesse Baschi du Cayla et ses enfants, Valentine et Ugolin, sur la terrasse du château de Saint-Ouen (ill. 3). Valentine, qui devint la princesse de Beauvau Craon, transporta ce tableau au château d’Haroué à la mort de sa mère. Une partie du mobilier provient en effet du château de Saint-Ouen, aujourd’hui siège du musée de cette ville, mais il est conservé à Haroué depuis le milieu du XIXe siècle.
Tout le mobilier de la chambre jaune, par Pierre-Antoine Bellangé, est vendu (ill. 4), y compris le lustre attribué à Antoine-André Ravrio. Un autre portrait de Gérard, celui de Charles-Just-François Victurnien, 4e prince de Beauvau, fait aussi partie de la vacation, ainsi que plusieurs paires de torchères attribuées à Thomire, des pendules et garnitures de cheminée, mais aussi des archives (quinze lettres de la duchesse de Berry à la comtesse de Cayla).
Enfin, l’une des œuvres les plus importantes est l’épée de grand écuyer de Lorraine fabriquée par l’orfèvre parisien Simon Gallien pour le prince Marc de Beauvau-Craon (ill. 5).Nous n’avons pas pu joindre la propriétaire, Minnie de Beauvau-Craon. Il n’est pas question ici de l’accabler car on imagine les difficultés auxquelles elle doit faire face, même si on peut imaginer ses ancêtres se retournant dans leur tombe. On peut, en revanche, dénoncer une fois de plus l’indifférence de l’État et surtout son absence totale de politique dans ce domaine, si ce n’est la préparation d’un projet de loi sans arrêt repoussé et qui, quoi qu’il en soit, ne résoudrait pas grand-chose dans ce cas précis, puisqu’il prévoit pour le classement d’un ensemble in situ l’accord du propriétaire, évidemment impossible à obtenir quand celui-ci souhaite vendre.
Nous n’avons pu avoir aucune réponse précise du ministère sur les mesures qu’il compte prendre – ou plus sûrement ne pas prendre - à propos de cette vente. Le commissaire-priseur, Rémy Le Fur, nous a indiqué que tous les objets vendus, à l’exception de l’épée, avaient obtenu leur certificat d’exportation il y a plusieurs années, nouvelle preuve de l’échec désormais patent de ce système qui ne protège pratiquement plus rien. L’épée sera-t-elle classée trésor national ? Nous n’en savons rien. Y aura-t-il des préemptions ? Il est normal que cela soit gardé secret jusqu’à la vente, mais quand bien même quelques objets pourraient être acquis par des musées, cela ne résoudrait pas la question de la conservation sur place.
Autre exemple de l’indifférence de l’État pour le patrimoine : si le château de Richelieu a été détruit, des éléments de boiseries avaient été remontés dans une maison de la ville de Richelieu. En 2006 eût lieu une première vente de boiseries d’époque Louis XIII par l’étude Rouillac (ill. 6). Elles furent achetées par Mick Jagger pour son château de Fourchette. Une nouvelle vente aura lieu le 7 juin, toujours par Rouillac, qui propose cette fois des boiseries Louis XV. On pouvait voir, dans le livre de Christine Toulier sur Richelieu1 une reproduction montrant in situ dans cette maison un des lambris bas vendu en 2006 et une des portes qui sera vendue en juin (ill. 7). On ne comprend pas que ces vestiges ne soient pas, en raison de leur rareté et de leur importance, classés monuments historiques. On se demande vraiment ce que craint le ministère ! D’avoir à payer un dédommagement pour des objets dont le prix de vente (22 000 € en 2006, une estimation de 4 000 € pour 2015) est très bas ? Peut-être le petit musée de Richelieu pourra-t-il cette fois réussir à acheter cet ensemble de boiseries... En 2006, comme le révélait La Nouvelle République2 il avait essayé, en vain, d’acquérir les panneaux du XVIIe siècle.
Autre exemple dans la même vente de restes d’un château détruit conservés à proximité immédiate du lieu pour lequel ils ont été conçus, et qui vont désormais être dispersés : plusieurs vases sculptés provenant du parc de Chanteloup et conservé jusqu’à aujourd’hui dans « le parc du manoir de la Richardière, en limite immédiate de l’ancien domaine de Chanteloup ». Il s’agit de quatre petits vases cassolettes, d’un pot à feu couvert, et d’un grand vase sur piédouche à décor de tournesols en pierre sculptée (ill. 8 et 9)
Tout cela est désolant, mais ne semble pas du tout gêner la ministre de la Culture qui se scandalise pourtant d’un rien et ne se prive généralement pas de le faire savoir.
Si dans les deux exemples du château de Richelieu et de celui de Chanteloup il ne s’agit évidemment pas de conserver les œuvres dans leur environnement détruit, il faudrait au moins éviter leur dispersion et tout faire pour qu’elles puissent être acquises par des musées de la région, après les avoir classées monuments historiques.
Quant au démantèlement des grandes demeures, rappelons que Julien Lacaze proposait ici même des solutions raisonnables mais qui n’ont, évidemment, jamais été reprises ni même évoquées par le ministère. On pourrait y ajouter une autre suggestion, qui mériterait d’être examinée : la création d’une fondation, dotée à la fois par l’État et par un large appel au mécénat, dont l’objectif serait de racheter des œuvres importantes de grands châteaux privés avec classement monument historique immédiat et obligation de laisser les objets en place. Nous sommes heureux de souffler cette idée à Fleur Pellerin. Nul doute qu’elle s’empressera d’y donner suite…
Didier Rykner
Notes :
1. Christine Toulier, Richelieu Le château & la cité idéale, Saint-Jean-de-Braye, éd. Berger, déc. 2005, p. 110
2. Édition du lundi 12 juin 2006.