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PHILIPPE ROUILLAC. COMMISSAIRE "PASSEUR"

Dimanche 22 septembre 2013

Le Télégramme, Hervé Queillé



Il se dit avant tout « passeur d'émotions » et « raconteur d'histoires ». Il n'empêche que Philippe Rouillac, commissaire-priseur, malgré son âme d'artiste, détient le record des enchères de l'année en Europe : 7,3 M€ pour le coffre de Mazarin !
« C'est la quatrième fois que nous avons un record au château de Cheverny (alias Moulinsart) », confie, tout sourire, Philippe Rouillac, dans sa petite maison de Bréhat (22). Mais foin des chiffres. Ce qui intéresse ce natif d'Hennebont (56), qui a installé sa charge à Vendôme - « Parce que le mot est grave et sonore et que c'est à 40 km de Paris » -, ce sont, avant tout, les « histoires ». Exemple : ces cinq wagons rouillés de l'Orient Express. Philippe Rouillac réussit l'exploit de trouver cinq acheteurs dont un Suisse. « Quand je lui ai recommandé de trouver quelques rails pour que le wagon ne se dégrade pas, il m'a répondu qu'il avait déjà un circuit privé de 35 km ! ». Ses yeux pétillent tout autant lorsqu'il évoque la Bugatti Baby, petite voiture électrique, réplique de la fameuse 52, confiée par les héritiers d'une garagiste qui l'avait gardée toute sa vie en gage de paiement d'un châtelain : « On l'a vendue 55.000 € à un eurocrate belge. Il l'a installée dans son bureau, juste au-dessus de la Bugatti type 52 grandeur nature qui se trouvait dans le garage. De vrais contes de fées ! ».

« Ventes garden-party »
Mais ces contes de fées, ils se vivent les yeux grands ouverts, avec des clients qui ont pour nom Mick Jagger, François Pinault, la Reine d'Angleterre, la Maison Blanche et les plus grands musées du monde. Pour autant, les clients plus anonymes sont aussi choyés. Somptueux catalogues, en français, anglais et russe, vidéos... la « maison » Rouillac ne ménage pas sa peine : « On se donne du mal. Quarante sculptures d'Alfred Janniot, c'étaient plus de 15 tonnes à manipuler dans le parc de Cheverny ». Ces véritables mises en scène dans le « plus beau lieu de vente de France » ont pour but de donner envie à l'acheteur mais aussi au public : « Il y a 5.000 personnes qui viennent à nos ventes. Certaines, uniquement pour nous écouter, dans un musée éphémère mais où elles peuvent approcher les objets. Le coffre de Mazarin, on s'est promené avec dans le public. Ça coûte des millions d'euros, ce ne sont pas eux qui achètent mais on s'en fout ! Ce qui m'intéresse, c'est de faire vibrer en partageant des émotions ».

Tintin dans le monde de Balzac
De l'émotion, il en dégage tellement que le public a cru qu'il était amoureux de Barbara à la vente des collections de la chanteuse alors qu'il ne connaissait pas ses chansons, confie son épouse, Christine. Un art de la mise en scène consommé qui fait encore mouche à la vente de la collection de tableaux du cinéaste René Clément : « Il achetait un tableau à chaque sortie de film. Chacun a une histoire, en fonction du succès ou non, et de ce que René Clément avait vécu pendant le tournage. C'est captivant... ». Assurément, il y a du Tintin dans ce commissaire-priseur atypique au sein d'une profession toujours très balzacienne. Pour autant, la rigueur est de règle chez les Rouillac, où Philippe, Christine et Aymeric, leur fils, conjuguent talents et complémentarités. Pas d'autre choix quand les principaux concurrents s'appellent Christie's et Sotheby's...

Assistant d'André Malraux
De véritables enquêtes... Et c'est ce qu'il aime, Philippe Rouillac : « C'est logique. Dans commissaire-priseur, il y a commissaire. En fait, on remonte des puzzles et c'est cela, l'intérêt du métier. J'ai beaucoup de chance ». La chance d'avoir fait quatre années de droit et d'histoire de l'art mais aussi une licence de mandarin. Originalité qui lui vaut de rencontrer Zhou Enlai en Chine, en 1975. Aventure qu'il raconte au retour dans un quotidien parisien, éveillant la curiosité d'André Malraux : « Un soir, j'ai eu la surprise de voir arriver, devant mon petit appartement, une DS noire. On m'a conduit chez André Malraux. Je suis devenu son collaborateur-assistant pendant un an. Unique et inoubliable ». Le début du conte de fées...

Hervé Queillé


LA « MONA LISA DU MEUBLE ASIATIQUE »
Le coffre de Mazarin ! C'est un véritable trésor qui s'est retrouvé entre les mains de Philippe Rouillac. Retour sur une enquête rocambolesque, partie d'un simple « beau bar ». « On a conclu l'affaire en buvant un sherry infect. Mais je suis prêt à en boire encore si c'est pour retrouver un objet de cette valeur : tout simplement la Mona Lisa du meuble asiatique ! ».Mais quand les héritiers d'un ingénieur de la Shell l'appellent pour vendre un « beau bar », Philippe Rouillac ne sait pas encore qu'on vient de lui confier le « coffre de Mazarin. Pour les enfants de cet ingénieur qui avait fait sa carrière en Angleterre, c'était simplement le bar à papa.Or, les traces de bouteilles et de verres cachaient, ni plus ni moins, le plus beau, le plus grand et le plus prestigieux meuble connu de cette époque... Un meuble unique, sans équivalent dans les collections mondiales ». Ce meuble fait partie de la commande somptuaire passée, vers 1639-1640, aux meilleurs ateliers de laqueurs de Kyoto, ville impériale, par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. « Toutes les techniques de laque noire sur fond or sont mobilisées sur l'étendue des panneaux, pour décliner un programme iconographique mythique : le Dit du Genji, premier roman de la littérature mondiale, au XIe siècle, narrant la vie et les amours du prince Genji », explique le commissaire-priseur.« Aucun luxe n'est épargné : incrustations de métal et d'argent en relief, usage de l'or sans limites, exubérance des détails et des personnages dont la finesse permet même de compter les doigts, frises symboliques empruntées à la plus haute aristocratie japonaise... ».

Retour à Amsterdam
Le cardinal achète le coffre en 1658, à Amsterdam. À son décès, en 1661, sa nièce aînée, Hortense de Mancini, duchesse de Bouillon, en hérite. « Louis XIV, qui avait joué dedans, petit, aurait aimé le récupérer. Mais il a préféré les gemmes qui se trouvaient à l'intérieur ». Par le jeu des héritages et des ventes aux enchères - mais aussi des turbulences de la Révolution -, on le retrouve en Angleterre, en 1801, acheté par William Thomas Beckford, critique d'art, écrivain et homme politique. Le dernier des treize propriétaires successifs le rachète pour une somme symbolique au docteur Zanieswski, dont il est l'ami et le locataire, à Londres.Plus de 70 ans après son dernier passage en vente publique, le fameux coffre a donc refait surface en 2013. « Inutile de vous dire que pour cet objet d'exception, il fallait, plus que jamais, que l'on soit irréprochable. Il a fallu que mon fils remonte jusqu'au testament de Mazarin pour retrouver les indications des cotes d'origine ». Ironie du sort, le coffre, vendu à 7,3 M€, est reparti à Amsterdam, propriété, désormais du Rijksmuseum.
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