L'art n'est pas improductif
Lundi 10 novembre 2025
Lettre publique

Monsieur Laurent Baumel, député d’Indre-et-Loire
Monsieur Marc Fesneau, député de Loir-et-Cher
Madame Sabine Thillaye, députée d’Indre-et-Loire
Inquiétude concernant l’amendement sur la taxation des œuvres d’art dans le cadre du nouvel impôt sur la fortune dite « improductive »
Madame la Députée,
Monsieur le Député,
Les résultats du vote sur le budget nous apprennent que vous avez soutenu l’amendement visant à intégrer les œuvres d’art dans le nouvel impôt sur la fortune dite « improductive ».
En tant que professionnels du marché de l’art, nous souhaitons vous alerter sur les risques majeurs que cet amendement fait peser, non seulement sur notre secteur, mais aussi sur le rayonnement artistique et culturel de la France en général, et de notre région Centre–Val de Loire en particulier.
Monsieur le Député Baumel, votre circonscription est directement #concernée : les deux hôtels des ventes d’Indre et Loire, à Chinon et à Joué-lès-Tours, ainsi que la doyenne des ventes de prestige françaises organisée chaque année au château de Villandry, contribuent en effet activement à l’animation culturelle et économique locale.
Taxer la détention d’œuvres d’art est un exercice périlleux et illusoire.
Périlleux d’abord, car la valeur d’une œuvre d’art est par nature fluctuante et subjective. Au cours de ces quinze dernières années, nous avons adjugé onze œuvres à plus d’un million d’euros, dont huit furent de véritables découvertes : leurs propriétaires ignoraient totalement leur valeur. À quel montant aurait-il fallu taxer, par exemple, le Bar à papa découvert en Loir-et-Cher, considéré comme un simple meuble en carton-pâte dans une succession avant d’être identifié par nous comme un coffre en laque du Cardinal Mazarin et vendu 7,3 millions d’euros en 2013 au Rijksmuseum d’Amsterdam ? L’évaluation des œuvres serait un casse-tête pour les services fiscaux et une source infinie de contentieux.Illusoire ensuite, également, car seule l’apparition publique des œuvres — lors d’expositions ou de prêts à des musées — permettrait de les identifier. Cette perspective rendrait les collectionneurs encore plus réticents à prêter leurs œuvres, appauvrissant ainsi la vie culturelle et les expositions publiques et les possibilités de dons ensuite aux musées français.
Poudre aux yeux enfin, car le marché de l’art représente une goutte d’eau à l’échelle des finances publiques. Les ventes aux enchères d’œuvres d’art totalisent un peu moins de deux milliards d’euros par an.
Ce montant déjà largement taxé :
- TVA à taux normal de 20 % ;- taxe sur la plus-value (6,5 % de la valeur totale du bien) ;
- taxe sur les métaux précieux (11,5 %) ;
- droit de suite (4 % du prix de vente) au profit des artistes vivants et de leurs ayants droit pendant 70 ans après leur décès.
Une fiscalité supplémentaire inciterait nombre de collectionneurs à vendre leurs œuvres à l’étranger, dans des places de marché moins taxées. Le résultat serait doublement néfaste : une perte de recettes fiscales pour la France et un affaiblissement général de tout l’écosystème artistique — artistes et créateurs, marchands, galeristes, restaurateurs, maisons de ventes aux enchères, transporteurs, éditeurs, journalistes, critiques, historiens, assureurs, musées, centres d'art et institutions publiques...
Notre pays, première destination touristique mondiale, doit une grande part de son attractivité à son patrimoine artistique et culturel. Dans notre région, troisième destination touristique de France, que resterait-il à admirer si nos monuments se vidaient des tableaux, sculptures et objets d’art qui en constituent l’âme ?
Mais au-delà des aspects économiques, c’est le principe même de « fortune improductive » appliqué à l’art qui est une erreur conceptuelle.
L’art n’a pas d’utilité matérielle : il éclaire, il élève, il interroge. L’artiste crée sans souci de rendement. Associer productivité et art est un contresens philosophique et #éthique. En voulant taxer la « non-productivité » des œuvres, on encourage paradoxalement la spéculation : les amateurs créeront des sociétés pour détenir leurs œuvres via des structures juridiques, déconnectant encore davantage l’art de sa dimension humaine et créatrice.Peut-être n’aviez-vous pas mesuré toute la portée de cet amendement. C’est pourquoi nous vous écrivons aujourd’hui, publiquement, pour vous alerter sur le risque que vous faites courir à la fragile flamme de la création et à l’attractivité culturelle de la France, que nous sommes nombreux à nous efforcer d’entretenir et de transmettre. Ne soufflez pas dessus !
Organisant ce week-end une vente arts+design #9 aux enchères à l’occasion du Salon Art au Quotidien au Palais des Congrès-Le Vinci de Tours, nous sommes heureux de vous y convier pour découvrir par vos yeux cette réalité.
Espérant trouver auprès de vous une écoute attentive et constructive,
Nous vous prions d’agréer, Madame la Députée, Messieurs les Députés, l’expression de nos salutations distinguées.
Aymeric Rouillac, Philippe Rouillac, Brice Langlois
