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Trois toiles d'Henri Martin pour Toulouse

Jeudi 02 octobre 2025

latribunedelart.com - Alexandre Lafore

Acquisitions - Toulouse, Musée des Augustins - Alors que sa réouverture se profile pour la fin de cette année, l'institution toulousaine poursuit une campagne d'enrichissement, fort régulièrement saluée dans La Tribune de l'Art pour sa variété et sa pertinence : comment imaginer meilleur asile pour ce grand tableau de jeunesse d'Henri Martin ? Resté inédit, conservé dans la descendance de l'artiste jusqu'au printemps 2023, La Course à l'abîme fut alors proposé par le galeriste Bertrand Moulins dans sa riche exposition intitulée « Les années de jeunesse » que le marchand toulousain assortit d'un catalogue et prolongea à Paris, chez son confrère Emeric Hahn, en marge du Salon du Dessin de mars 2024 (voir la brève du 22/3/24).

Signé et daté de 1882, ce tableau donna presque autant de fil à retordre au galeriste qu'au musée - qui put en faire l'acquisition avec le soutien du FRAM Occitanie - car le sujet, le titre comme la date paraissaient fort confus. Comme le précise sa notice sur la base Salons du Musée d'Orsay, cette toile ambitieuse doit bien être identifiée avec La Course à l'abîme que le peintre toulousain, élève de Jean-Paul Laurens, présenta au Salon de 1882. A priori bien éloignée des œuvres aujourd'hui les plus connues et les plus appréciées d'Henri Martin, cette composition, dans laquelle on reconnaît un autoportrait de l'artiste alors âgé de vingt-deux ans, est assez joliment qualifiée par le musée de « troublant exercice d'introspection » où le peintre livrerait une « vision personnelle du pandémonium ». Son iconographie complexe mérite assurément un peu plus d'exégèse mais ce tableau surprenant, possédant une importance certaine aux yeux d'Henri Martin, puisqu'il le conserva dans son atelier, permet à Toulouse de présenter tous les pans de la carrière de cet artiste qui aura fait honneur à sa ville.

Au Salon de 1882, La Course à l'abîme était accompagnée dans le livret d'un poème d'un certain Henri Lapierre qui n'éclaire que fort partiellement le sujet représenté [ 1 ] mais qui aura au moins permis d'identifier plus précisément ce tableau mystérieux.

Si les œuvres de jeunesse d'Henri Martin ne séduisent pas forcément ses amateurs habituels, certaines possèdent une force indéniable et méritent l'attention, à l'instar de ses autoportraits précoces [ 2 ] : citons ainsi l' Autoportrait en saint Jean-Baptiste du Musée des Beaux-Arts de Carcassonne et le non moins exceptionnel Autoportrait en Virgile, admiré à la galerie Terrades mais qu'on aimerait voir rejoindre un musée. Le Musée des Augustins a pour sa part remarqué un autre tableau de jeunesse dans l'exposition de la galerie Moulins : un Portrait de la mère de l'artiste ( ill. 2) de format ovale, ce qui n'atténue guère l'austérité de cette effigie campée sur fond rose. Selon le musée comme le galeriste, Marie-Victoire Raffi fut immortalisée en tenue de deuil, peu après la mort de son époux. L'inscription « A ma bonne mère » vient adoucir une gravité compréhensible, même si le modèle était réputé pour son caractère ! Acheté avec le soutien du FRAM Occitanie, comme le premier, ce portrait est considéré par le musée comme le plus méticuleux des portraits de famille peints par Henri Martin.

Enfin, c'est en vente publique que le Cercle des Mécènes du Musée des Augustins sut jeter son dévolu sur un troisième tableau d'Henri Martin, proposé chez les Rouillac à Villandry, le 8 juin dernier, et adjugé 38 000 € au profit de cette institution conservant, depuis 1982, une autre étude préparatoire pour le même cycle décoratif. Comme les amoureux de Toulouse l'ont reconnu au premier coup d'œil, il s'agit des Bords de la Garonne commandés pour le Capitole : peinte depuis le square Viguerie, cette vue des quais de la Daurade au soleil estival servit ensuite à l'artiste de toile de fond pour la pièce centrale de son triptyque urbain, Les Rêveurs, trônant entre Les Amoureux et Le Poète. Ce merveilleux décor, aujourd'hui l'orgueil du bâtiment toulousain, fit récemment l'objet d'une restauration (voir l' article ) devenue nécessaire, mais ne saurait faire oublier les autres grands noms de l'époque qui œuvrèrent au chantier, comme l'a bien compris le Musée des Augustins qui acheta l'an dernier deux belles esquisses de Paul Gervais et Édouard Debat-Ponsan (voir la brève du 8/11/24 ). On se réjouit donc de pouvoir très prochainement admirer ces récents enrichissements, le Musée des Augustins semblant mieux inspiré pour ses achats que pour son nouveau logo, parfaitement illisible mais triomphalement annoncé il y a quelques semaines. Quant à sa nouvelle entrée, nous jugerons sur pièce...

Notes
[ 1 ] « En avant !
Vive la mort ! La mort devient entremetteuse
Et s'unit à l'Amour, assassin plus savant.
O Dieu ! l'horrible vieille ! ô l'infâme camarde !
Elle agite ses bras décharnés : Hop ! hop ! hop !
Quels feux étrangement lumineux elle darde.
Le cortège effrayant a pris le grand galop. »

[ 2 ] Citons son autoportrait plus tardif appartement au Musée d'Orsay, chef-d'œuvre méconnu longtemps ignoré mais remis à l'honneur par l'exposition de 2015-2016 (voir l' article).
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