DEUX MYSTÉRIEUX VISAGES
Jeudi 22 mai 2025
La Gazette Drouot, Caroline Legrand


très maîtrisée, est l’œuvre d’un sculpteur romain du XVII siècle. Des bronzes de la pleine période baroque.Si c’est la Renaissance qui a remis au goût du jour le bronze en Italie, le XVIIe siècle a fourni à cette technique ses plus beaux chefs-d’œuvre, prisés de nos jours par les collectionneurs.
D’une qualité exceptionnelle, cette paire de bustes inédite, ayant été conservée depuis plus d’un siècle dans un château de la Loire, en est une parfaite illustration. Fondus, comme il se doit, à la cire perdue – procédé entraînant systématiquement la destruction du moule –, ces portraits de philosophes dénotent une maîtrise extrême : absence de reparure et de défaut de fonte, reprises à froid d’une précision chirurgicale… Ainsi, chaque ciselure permet de donner toute son ampleur à l’expressivité des traits, allant jusqu’à marquer les iris par des demi-cercles incisés en profondeur. « L’élégance et la sophistication de ce travail à froid sont particulièrement perceptibles dans le subtil amati du passage entre l’aspect lisse des carnations et les entailles profondes de la barbe et des cheveux », ajoute l’expert Élodie Jeannest.
Cette expressivité des traits et ces chevelures sont des marqueurs forts de l’art baroque, plus précisément de l’art italien du XVIIe . En effet, jusque-là attribuées au Toulonnais Pierre Puget, ces œuvres ont été exclues de son catalogue raisonné, publié en 2023 par Klaus Herding. C’est donc aujourd’hui vers un artiste romain, ayant assimilé le travail du Bernin et de l’Algarde, que s’oriente l’attribution. Encore mystérieux, notre sculpteur serait également l’auteur de deux paires similaires, conservées respectivement dans la collection du prince de Liechtenstein et celle du musée de l’Ermitage à Saint Pétersbourg. Dans le cadre de la Contre-Réforme, à Rome, l’administration pontificale lança d’importants chantiers. Cette intense activité fut relayée dans les productions civiles commandées par les familles aristocratiques. Les artistes travaillaient souvent pour les deux, mais aussi parfois pour la restauration d’œuvres antiques, à l’image d’Alessandro Algardi, Ippolito Buzzi et Giovanni Antonio Mari.
Ces pièces étant une source infinie d’inspiration depuis la Renaissance, elles fournirent des modèles d’un réalisme idéalisé, notamment de portraits en buste de penseurs ou d’empereurs. Ainsi retrouve-t-on un peu de Caracalla dans le visage du jeune philosophe, et des airs du fondateur de l’école cynique grecque Antisthène dans le plus mûr des deux. Mais, tournés l’un vers l’autre, ils semblent se répondre, le plus âgé faisant acte de transmission auprès du plus jeune, selon la théorie platonicienne alors en vogue, les vertus morales étant ainsi préservées.
